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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 mars 1853

Jersey, 24 mars 1853, jeudi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon tout bien-aimé, bonjour, joie, santé et bonheur à toi et à tous les tiens. J’ai été joliment grêlée, grésillée et neigée hier après vous avoir quitté. Mais loin de m’en plaindre, j’étais heureuse de penser que vous étiez à l’abri et puis je me rappelais avec bonheur toutes les trombes que nous avions reçuesa sur nos bosses cet hiver. Enfin, je suis revenue enchantée de mon expédition regrettant presque de n’avoir pas plus de chemin à faire sur ce tapis blanc et croquant, comme des bonbons, sous les pieds. Ce matin, il fait encore à peu près le même temps, mais le soleil aura bientôt fondu tout cela. En attendant, je me réchauffe en vous écrivant et je me réjouis en pensant que je vous verrai peut-être ce matin et que je vous reconduirai à coup sûr ce soir. Maintenant, cher petit homme, convenez qu’il n’y a dans tout cela aucune matière à gribouillis et que tout ce que je vous dis là ne vaut pas même la peine d’être chanté sur l’air : à Toursb en Touraine, un beau capitaine cherchait ses amours [1], etc. Surtout quand le refrain est toujours le même. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 297-298
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « reçu ».
b) « Tour ».


Jersey, 24 mars 1853, jeudi après-midi, 2 h.

J’espérais, mon cher petit homme, que vous m’auriez offert un brin d’air et de soleil tantôt, mais j’ai été très désappointée quand je vous ai vu vous en aller sans même m’exprimer un regret ni le moindre sentiment de pitié. Ce procédé est assez médiocre, même dans une île, et j’en suis assez peu flattée dans ma peau de Juju. Encore si vous veniez écrire vos billets doux chez moi, cela pourrait peut-être me consoler un peu. Mais vous vous en donnerez bien de garde, ce n’est pas chez moi qu’on fait rôtir les poulets de Madame Bourson [2] mais les tartines Jeffs [3] et Tarride [4] sont assez bonnes pour moi. Vous sentez que je ne me fais pas la moindre illusion sur les précautions délicates que vous prenez pour n’être pas gêné dans vos mamours épistolaires. Mais je vous revaudrai tout cela à la première occasion, soyez tranquille. En attendant, continuez de faire le fameux avec votre foudre de confrère Le Flôb. Chiens qui aboient ne mordent pas, c’est ce que les péronnellesb jersiaises savent tout aussi bien que les cocottes parisiennes et ce qui les poussec à donner de préférence leur Daguerréotype aux jeunes conscrits qu’aux vétérans les plus culottés. J’en suis fâchée pour vos projets belliqueux à l’endroit du beau sexe jersiais, mais cela est ainsi, MON BRAVE, ce qui ne m’empêche pas de vous laisser roupiller sur vos lauriers desséchés.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 299-300
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « Leflô »
b) « péronelles ».
c) « poussent »

Notes

[1À élucider.

[2Cette femme a accueilli Victor Hugo et son fils Charles à Bruxelles rue Notre-Dame aux neiges. Son nom apparaît parfois dans des lettres adressées par Victor Hugo à son épouse, comme dans celle du 24 janvier 1852, où il signale qu’il est sorti avec elle « en [lui] donnant le bras ».

[3William Jeffs établi à Londres en tant que « foreign bookseller to the Queen […] prête son nom en juin [1852] pour les Mystères du deux décembre d’Hippolyte Magen » fait de même pour la publication de Napoléon le Petit en août 1852.

[4Jean-Baptiste Tarride, éditeur bruxellois. En 1852 il est associé à Dulau et Labroue pour la publication de Napoléon le Petit mais se fait remplacer au dernier moment par son confrère belge Mertens. En 1853, pressenti pour éditer Les Châtiments, il se retire du projet. J.B. Tarride est également en charge de la réédition des Œuvres oratoires de Victor Hugo, lequel se plaint de la lenteur du travail (envisagé au début de l’exil, le livre ne paraît qu’en août 1853) et de l’incompétence de la maison belge : « Il y a pas mal de fautes et de fautes funestes. Oui pour non, moins pour plus […] » cité par Jean-Marc Hovasse, Victor Hugo, t. II, Pendant l’exil I. 1851-1864, Fayard, 2008, p. 176-177.

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