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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 mars 1853

Jersey, 3 mars 1853, jeudi après-midi, 1 h.

Les jours se suivent et les embêtements se ressemblent dans cette île pluvieuse, mais peuplée de Toto ; aussi je suis assez maussade quoiqu’ayant le droit d’être tout à fait grognon. Je n’en accuse personne pas même moi, telle est ma grandeur. De votre côté, il est probable que vous vous trouvez très aimable, très assidu et très charmant, cette illusion vous est permise. En somme il n’y a que la foi qui sauve et vous avez d’ailleurs peut-être raison. De tout cela il résulte pour moi une apathie invincible dont vos copies [1] seules peuvent me sortir pendant le temps que je les fais. Après quoi je retombe dans ma stupide atonie comme une huître oubliée par la marée sur la grève. Cet état plein de charme ne suffit pas encore à mon bonheur. Après cela vous me direz que je suis trop exigeante, et je vous laisserai dire, et nous n’en serons pas moins bons ennemis, au contraire. En attendant, je vous souhaite toutes sortes de bonnes choses et beaucoup de bonnes nouvelles, ne fût-cea que pour vous rendre heureux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 221-222
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « ne fussent ».


Jersey, 3 mars 1853, jeudi après-midi, 1 h. ½

J’essaie de te sourire à travers toutes les billevesées mélancoliques qui obscurcissent ma pensée dans ce moment-ci, mon Victor. J’espère que tu me tiendras compte de la bonne volonté comme du fait même car j’ai le mérite de l’effort fait pour arriver à ce résultat que tu parais désirer quel quea soit d’ailleurs le véritable état de mon humeur.
Pauvre bien-aimé, qui sait à quels ennuis tu es en proie toi-même aujourd’hui car les réunions et les commissions se suivent, et les démocrates se ressemblent un peu trop dans ce pays moitié fil et Angleterre [2]. Au lieu de me plaindre je pourrais peut-être m’apitoyerb sur ton sort de démagogue avec plus d’à-propos. Aussi, je ne t’en veux pas, bien loin de là. Je t’aime et je te SOURIS malgré le petit RAT de gaîté qui me tient dans ce moment. Du reste, il est probable que je serai tout à fait joviale quand tu viendras. Je vais m’y appliquer de toutes mes forces en te copiant à outrance. Sur ce, baisez-moi, mon petit bien-aimé, et riez tout de suite pour me montrer l’exemple.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 223-224
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « quelque ».
b) « appitoyer ».

Notes

[1Juliette copie les manuscrits des œuvres de Victor Hugo avec joie et reconnaissance. Les raisons invoquées pour expliquer le plaisir lié à cette activité sont plurielles. Juliette prétend qu’à travers l’écriture de son bien-aimé elle a la sensation de communier avec son âme : « Il me semble que je vois de plus près encore ton sublime génie et que je pénètre plus avant dans ta grande âme. » (Lettre du 1er octobre 1852, vendredi midi). Ailleurs elle souligne que la copie lui procure l’impression d’être utile : « Aussi est-ce très sérieusement que je vous demande à quoi je vous sers dans cette île, ma fonction de copiste à part ? » (Lettre du 1er février 1853, mardi midi ½).

[2Membre de la société fraternelle des proscrits, Victor Hugo participe à ses longues et houleuses discussions et à ses réunions hebdomadaires dans lesquelles « la conduite et les actions de chaque citoyen sont passées au crible de la plus minutieuse et de la plus pointilleuse susceptibilité » (Juliette Drouet « Journal de Jersey », 10 janvier 1853 ; Juliette Drouet, Souvenirs, 1848-1854, op.cit., p. 305).

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