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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 novembre [1839], mercredi après-midi, 1 h.

Bonjour, mon petit adoré, bonjour, mon cher bijou. Bonjour toi que j’aime, bonjour, bonjour. Toutes tes petites affaires sont prêtes, c’est par là que je commence en me levant afin que si tu avais le bon esprit de venir boire de la bonne tisanea et baigner tes beaux yeux, tout soit prêt à point. J’ai un peu moins mal à la tête ce matin. Cela tient au FAMEUX REMEDE probablement. C’est un topique infaillible et qui ne rate jamais… son effet. Baisez-moi [encore  ?]. Pourquoi que vous n’êtes pas revenu cette nuit, nous aurions déjeuné ensemble ? Vous êtes une bête. Baisez-moi encore. Nous n’avons pas trop mal passé le hideux anniversaire de notre retour hier [1]. Il y en a eu pour tous les goûts, le flacon cassé en signe de deuil et de rage et le petit épilogue en manière d’apothéose que nous avons représenté à nous deux avec une vérité et une mise en scène inconnue même chez les Dieux. Donc je n’ai pas lieu de me plaindre et je consens à pleurer notre retour de cette manière tous les jours et toutes les nuits. Et toi, y consens-tu ? Je t’aime, toi. Je dis des bêtises parce que je suis heureuse. Je t’aime trop, cela me grise plus que si je buvais du rhum. Le plaisir me rend folle, le bonheur me rend extravaganteb. Je veux que tu me donnes à COPIRE tout de suite. Je le veux, je le veux ou je fais une scène à [Mamzelle Poupée  ?]. Je n’ai pas besoin, moi, qu’on me FRUSTE pour bien dire, de mes droits et privilèges. Je veux ma copie tout de suite, tout de suite ou JE TAPE. Baisez-moi. Baisez-moi. Baisez-moi. Baisez-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 97-98
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « tisanne ».
b) « extravaguante ».


27 novembre [1839], mercredi soir, 5 h. ¾

Je suis bien heureuse, mon cher petit bien-aimé : je souperai avec toi. Je te servirai, je te verrai, je te caresserai, je t’adorerai. QUEL BONHEUR ! N’est-ce pas que l’histoire de ce pauvre Guérard est triste ? Je la comprenais bien comme ça, aussi j’ai toujours été pleine de pitié pour eux. On ne sait vraiment lequel des deux est le plus à plaindre. Pauvres gens, que le Bon Dieu ait pitié d’eux.
Je t’aime, mon Toto bien-aimé, et la pensée que tu souperas avec moi me comble de joie. Je n’aurai pas mal à l’estomac, j’en suis sûre sûre, tu verras et puis il faudra venir plus souvent encore, tous les jours si tu peux. Ce sera ravissant et nous rappellera nos beaux jours de Fourqueux et d’Auteuil. Ô oui, tâche de venir souvent, toujours plus tu viendras et plus je serai heureuse, mon adoré. Je suis furieuse contre ce stupide Pradier ? On n’est pas plus bête et plus ennemi de soi et de la politesse la plus banale que cet animal-là mais il peut être tranquille, il fera chaud quand je me mêlerai de lui rendre service. Quel COCHON [2]. Je suis furieuse de m’êtrea mise en frais pour quelqu’un qui le mérite si peu. Une autre foisb je serai un peu plus ménagère de mon influence et de ta grande et noble bonté. Donne-moi ta petite main que je la baise. Je t’aime. Je voudrais que tu penses à revenir baigner tes beaux yeux et boire de la tisanec car ce n’est ni à 11 h. ni même à minuit, au moment de souper, que tu pourras en boire et en conscience ce ne sont pas les deux petites tasses que tu as bues tout à l’heure qui peuvent te faire beaucoup de bien. Je veux vous soigner, moi. Je vous aime, moi. Je vous adore, moi. Je suis bien contente, moi. Je suis bien heureuse, moi. Quel bonheur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 99-100
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « mettre ».
b) « autrefois »
c) « tisanne ».

Notes

[1Un mois plus tôt ils rentraient de leur long voyage d’été et d’automne.

[2Juliette attend la réponse de Pradier à Victor Hugo qui a accepté son invitation à aller voir ses projets de statues pour la fontaine Molière, édifiée en 1844, rue de Richelieu, en face de l’ancienne Maison de Molière, financée sur souscription nationale. La statue centrale de bronze est l’œuvre de Bernard-Gabriel Seurre. James Pradier est l’auteur des deux statues latérales La Comédie légère et La Comédie sérieuse. Pradier écrira bientôt à Juliette pour lui demander de remercier Hugo qui a accepter de venir voir ses esquisses : « veuillez, je vous prie, lui faire de ma part mille remerciements de sa bonne volonté à m’aider dans le choix de mes compositions. Je connais J. Janin, Planche, etc., mais V. H., celui-là je le préfère. Je suis en train de faire mes esquisses en terre. Aussitôt faites, j’aurai le plaisir de vous écrire pour l’avertir et le prier de venir les voir. » (James Pradier, Correspondance, T. II, édition citée de Douglas Siler, p. 194).

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