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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 novembre [1839], dimanche midi

Bonjour, mon cher petit adoré, bonjour, petit homme chéri, bonjour, je t’aime. Me voici seule tout à fait, mon cher bien-aimé, et par conséquent plus livrée à moi-même et à mes idées noires ? Je ne te demande pas de venir plus souvent parce que je sens bien que cela t’est impossible et que tu passesa ta vie à travailler pour tout le monde, mais je te demande à genoux de m’aimer et de me donner tout ce que tu pourras prendre au travail et aux devoirs. Le projet dont tu m’as parlé hier me paraît bien charmant et s’il peut se réaliser, nous serons bien heureux. Quant à moi je le désire de toute mon âme, au risque d’alourdir encore ton fardeau, mais aussi le bonheur donne tant de force et tant de courage que je ne redoute pas pour toi ce surcroît de charge. Quel bonheur, mon Toto adoré, si nous pouvions réaliser ce charmant projet. Il me semble que ce serait le paradis. En attendant il faut avoir bien soin de nos pauvres petits anges qui sont mes [illis.] et mes MOUSTACHES à moi. Il faut surtout ne pas laisser ce pauvre Toto se lever à cinq heures du matin tous les jours et se coucher à 10 h. du soir. M. Louis a mille fois raison quand il dit que ça peut le rendre malade dans un temps donné. J’ai aussi ce pressentiment depuis longtemps. Ainsi mon cher adoré, il faut suivre les avis de M. Louis et lui redonner tout de suite plus de repos et plus de loisir [illis.] malheur qu’on ne [illis.] pas donner en action tout dévouement, tout l’amitié, tout l’amour qu’on a dans le cœur. Si cela se pouvait, mes pauvres chéris : Toto le petit dormirait ses grassesb matinées et le grand Toto n’aurait pas d’autre fatigue que de se laisser adorer par moi. Malheureusement, tous ces fruits de l’âme ne peuvent pas nourrir le corps, l’estomac ne se nourrit pas de son papa cœur et l’amour le plus riche n’est rien qu’un pauvre [illis.] dans les besoins de la vie. Je t’écris un tas de choses confuses et informes qui sont très nettes dans ma penséec mais que j’estropie au passage d’une manière si barbare qu’on en sait plus [ce que] c’est. Mais je t’adore, voilà ce qui reste entier de ce gribouillis.

BnF, Mss, NAF 16340, f. 35-36
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « passe ».
b) « grâces ».
c) « pensées ».


10 novembre [1839], dimanche soir, 5 h.

Quel vilain temps, mon cher bien-aimé, et qu’il y a longtemps que je te désire et que je t’attends. J’ai besoin d’entendre ta voix. J’ai besoin de voir ta belle figure, j’ai besoin de baiser tes ravissantes petites dents blanches. Mon Dieu que je vous aime, mon Toto chéri. Je ne pense pas que Mme Pierceau vienne par ce temps-là, ainsi je suis réduite à la portion excessivement congrue de Résisieux qui est chez moi au moment où je t’écris. Elle m’a apporté un petit morceau de petit pain de chez un boulanger de la rue « Ricelieu » où [l’on  ?] a posé des « glas ». Elle veut que je le « man » quand j’aurai faim. Elle m’a demandé comment allait Mr Doi [1] et s’il allait bientôt venir. J’ai répondu à peu près à toutes les questions car je ne suis jamais assez sûre de ta chère petite santé et je ne sais jamais quand je te verrai. Pauvre bien-aimé, ce n’est pas un reproche que je te fais, c’est un besoin et un désir que j’exprime. J’ai eu la visite du fils Mignon à qui j’ai dit de revenir dans un mois. En vérité, c’est à n’y pas tenir : à peine arrivés, nous sommes assaillis par tous les besoins de l’hiver et par les créanciers, c’est trop de DEUX ou de tous. Et j’aimerais mieux être à [canner  ?], à pêcher des poissons morts que d’être à Paris au milieu des créanciers vivants. Voilà ma manie à moi, et vous ? Je vous aime Toto, et vous ? Je vous adore Toto, et vous ? Je voudrais vous baiser Toto, et vous ? Si j’étais libre d’aller vous retrouver partout où vous êtes, je ne vous quitterais pas. Hélas ! Si vous m’aimiez comme je vous aime. Revenez aussitôt que vous aurez lu ce gribouillage et je serai la plus heureuse des femmes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 37-38
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

Notes

[1Surnom que la petite Résisieux Besancenot donne à Victor Hugo.

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