Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1836 > Décembre > 6

6 décembre [1836], mardi matin, 11 h. ½

Quel fond voulez-vous que je fasse sur vos promesses et sur votre amour, mon cher bien-aimé ? Voici bien des fois que vous me faites des promesses sans les tenir, au risque de me donner la preuve que vous n’avez plus aucun sentiment tendre pour moi. Je suis beaucoup plus alarmée que je ne le fais paraître du changement évident de notre manière d’être envers moi, et à part le dévouement généreux et incontestable que vous me montrez tous les jours, il est impossible d’être moins amoureux, de toutes façons, que vous l’êtes.
J’aurais grand honte à vous faire des reproches qui consisteraient seulement sur le plus ou moins d’empressement que vous mettez à éviter des rapprochements intimes entre nos deux personnes, quoique cependant je pense que c’est sinon une preuve d’amour, que c’en est au moins une conséquence. Mais je ne vois pas que vous ayez un goût plus vif pour les autres relations d’intimité. Aussi je vous le dis sérieusement, je suis très affectée au fond de l’âme d’un refroidissement qui pour être venu petit à petit n’en est pas moins très réel et trop réel.
Cependant je continue de vous aimer comme auparavant, moi  ; quelle position que la mienne ! Je vous assure que je suis très triste.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 213-214
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette


6 décembre [1836], mardi après-midi, 3 h. ½

Je suis un peu souffrante aujourd’hui. Si j’avais pensé que tu ne [devais  ?] pas venir du tout dans la journée, je ne me serai pas levée, et pour cause…a L’absence n’empêche pas d’aimer pour un cœur pris comme le mien. Mais l’amour n’empêche pas de souffrir beaucoup dans la situation où je suis. Je voudrais ne te faire aucune plainte, mais ma mauvaise nature l’emporte quand je suis seule parce que la meilleure partie de moi-même est avec toi.
Heureusement que tu fais bien peu d’attention à mes chagrins, ce qui me donne un peu moins de scrupules à t’en entretenir.
J’ai donc beaucoup de tristesse aujourd’hui, mêlée à un peu de malaise, ce qui ne me rend pas plus patiente ni plus philosophe. Je crois même ne l’être jamais sur le point de : TON INDIFFÉRENCE. À moins que ton exemple ne me gagne, auquel cas nous serions parfaitement charmants et indulgents l’un envers l’autre.
Mais… ce temps là malheureusement pour moi et pour toi ne me paraît pas très proche. Enfin si tu veux m’enseigner le chemin que tu as pris pour y arriver si tôt, peut-être en courantb bien fort j’y arriverai avant de mourir.
Je suis très gaie comme tu peux le voir et surtout très spirituelle comme il est très difficile de s’en douter si on n’y regarde de très près. Mais je t’aime, ce qui saute aux yeux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 215-216
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

a) Les points de suspension courent jusqu’au bout de la ligne.
b) « courrant ».


6 décembre [1836] mardi soir, 8 h. ¾

Mon cher adoré je me sens le besoin de t’écrire une lettre expansive, en forme d’expiation pour celles que je t’ai écrites aujourd’hui, en supposant qu’elles l’ont été dans un moment de doute et d’amertume comme il m’en arrive presque toutes les fois que je suis trop longtemps sans te voir. Mon Victor bien aimé, mon Victor chéri, mon Victor sublime, mon Victor adoré, pardon si je me trompe sur toi. Certes dans un tout autre homme le dévouement dont tu me donnes la preuve jour et nuit servirait à convaincre de l’amour le plus pur et le plus ardent. Mais toi mon noble, mon généreux homme, ce n’est qu’une preuve de ta divine et sublime nature qui prouve que tu es un homme au-dessus de tous les autres hommes, voilà tout. Et ce n’est pas assez pour moi, qui je t’aime avec et sans les admirables qualités qui font de toi presque un Dieu.
Je veux que tu m’aimes, j’ai besoin que tu m’aimes, je n’ai même besoin que de ton amour. Car tu le permettais je ne mangerais que du pain que j’aurais gagné. Mais donne-moi de l’amour, ton amour, tout ton amour, ce ne sera pas trop pour payer celui que j’ai.
Si tu savais, quand je t’ai vu, quand je crois que tu m’aimes, je marche sur l’air, je ne me crois pas une simple mortelle. Mais aussi quand je doute je me crois la plus misérable et la plus infortunée des créatures ; c’est que je t’aime tant.

J.

BnF, Mss, NAF 16328, f. 217-218
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne