Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1860 > Octobre > 13

Guernesey, 13 octobre 1860, samedi matin, 7 h.

Bonjour, mon cher bien-aimé ; bonjour et bonheur je t’aime. Comment as-tu passé la nuit, mon cher petit homme ? As-tu bien, bien, bien dormi ? Moi j’ai PIONCé à ce point que je n’ai pas entendu la grosse pluie de cette nuit. Aussi ce matin je vais très bien quoique je ne sois pas encore levée : je reste au lit pour économiser un peu de feu jusqu’après mon déjeuner, moment où je vais et je viens dans ma maison et où le feu me serait inutile. C’est donc aujourd’hui qu’on se risque à faire mon fameux portrait qui sera je le crains une vraie RACATURE [1] de mon ex moi d’il y a longtemps, longtemps. Mais comme personne, pas même moi, ne s’en souvient plus, la comparaison ne sera pas possible et on pourra croire que je suis venue au monde comme ça, ce qui n’est pas drôle. Du reste je m’en ficherai pas mal si tu es aussi philosophe que moi à cet endroit de ma VIEILLEUSTÉ, comme dit Suzanne. Et puis il sera toujours très facile de leur attacher une casserole à la queue à ces affreuses images et de les lâcher dans l’infini d’où elles ne reviendront plus nous faire honte. Et puis je crois que le temps s’opposera à l’exécution du susdit POURTRAIT car il fait noir comme dans un four et la pluie suinte de toutes parts. Mais en voilà beaucoup trop sur cette chose si peu importante. Ce dont je suis bien heureuse c’est d’avoir ton cher petit portrait pour moi toujours de plus en plus beau et de pouvoir aller et venir sans indiscrétion chez toi à tous les instants de ma vie par le moyen des stéréoscopes de ton intérieur. Il est bien regrettable pour ces braves démagogues que leurs chichis ne puissenta donner qu’un nombre très restreint d’épreuves car je suis sûre qu’ils en auraient vendu à Paris et partout autant qu’ils en auraient voulu. Après cela ils albuminent [2] peut-être la fortune et ils préfèrent peut-être se collodionner [3] dans la gêne qui étant une question de goût et d’opinion je n’ai rien à y voir qu’à les remercier de leur beau cadeau et à t’aimer de toute mon âme ce que je fais de tout mon cœur.

BnF, Mss, NAF 16381, f. 270
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

a) « puisse ».

Notes

[1Mot-valise associant « racca » et « caricature » ?

[2Néologisme formé sur « albuminé », qualité du papier photographique recouvert d’une couche d’albumine contenant du chlorure de sodium, très employé de 1850 à 1890. J

[3Nouveau néologisme formé sur « collodion », substance utilisée en photographie.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne