Guernesey, 24 nov[embre] [18]72, dimanche matin, 8 h. ¾
Je ne sais pas si je dois te féliciter de ta nuit, mon cher bien-aimé, ou te plaindre ? mais, ce que je sais bien, c’est que je suis bien heureuse de t’avoir vu tout à l’heure et que je t’adore. Il fait un temps exquis ce matin mais qui ne durera pas longtemps, je le crains. J’en profite pour mettre ma panoplie à l’air en regrettant de ne pouvoir pas encore reprendre nos chères promenades à pied et en voiture. Dites donc, môsieu, je vous prie de croire que ce n’est pas moi qui ai fait cette fournée de pâtés qui surcharge mon tendre poulet. Cette pâtisserie date de longtemps, peut-être même de La Légende des siècles [1]. Si je m’en étais aperçue plus tôt, je ne me serais pas jetée à plume perdue dans ce margouillis. Enfin, puisque j’y suis jusqu’au cou et jusqu’au cœur j’y reste ; tant pis pour vous. Cher adoré, je ris avec toi parce que j’espère que tu as passé une bonne nuit et mieux encore, que tu as reçu de bonnes nouvelles de ton petit Victor [2]. Puisse cet espoir se réaliser. Aussi j’attends avec impatience l’heure de te voir qui sera probablement plus tôt que d’habitude à cause de ta jeune et jolie déjeuneuse [3] d’aujourd’hui. Je lui souhaite et je te souhaite bon appétit et mon cœur à dévorer.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 324
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette