Guernesey, 20 juillet 1859, mercredi matin, 9 h.
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, mon bonheur, je te souris et je te bénis. Comment as-tu passé la nuit, comment vas-tu ce matin ? Bien, je l’espère, malgré l’orage qui se prépare et qui nous empêchera peut-être de dîner dans le lucoot ce soir. J’en serais fâchée pour toi et pour ton Charles ; quant à moi, comme rien n’ajoute au plaisir d’être avec toi, rien non plus ne peut le diminuer. Aussi, je ne m’inquiète de la maussaderie du temps que pour toi, mon cher petit homme. Peut-être que d’ici à ce soir, tu auras la chance qu’il s’égaie un peu.
Jusque là, je te gribouille mes tendres billevesées sur mon genou, la table peinte n’étant pas encore sèche et peu praticable. À propos de table, Mme Allez m’offre la sienne et plus encore son salon, que je n’accepte pas bien entendu, moins par discrétion que par impossibilité de service à cette distance de ma cuisine. Mais sa bonne grâce n’en est pas diminuée pour cela et j’en suis très touchée. De son côté, Suzanne est déjà revenue à sa mauvaise humeur, ce qui fait plus que compensation à l’amabilité de mes voisins. Mais je t’aime, voilà le contrepoids à toutes mes infortunes de domestiques et autres.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16380, f. 161
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette