Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1835 – Lettres datées > Décembre > 19

19 décembre [1835], samedi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon adoré, bonjour, mon Victor, comment vas-tu ce matin ? Je suis bien tourmentée du souvenir de ton mal de tête et de ton mal de gorge surtout, toi ayant travaillé cette nuit.
Mon Dieu, que je voudrais trouvera un moyen de faire cesser cet atroce travail de toutes les nuits. Quel poids j’aurais de moins sur la conscience et combien de tourments de moins pour mon pauvre cœur qui s’imagine sans cesse que la fatigue et la préoccupationb résultant de ton travail sont des symptômes de refroidissement.
Tu vois, mon pauvre adoré, quel service immense nous rendrait la possibilité de vivre indépendante. Toi, tu y gagnerais le repos et la santé ; moi, la tranquillité et peut-être le bonheur, car tu viendrais, je l’espère du moins, plus souvent et plus longtemps. Mais cette indépendance au train dont je vais, ne viendra jamais et nous courons risque : toi, de t’épuiser ; moi, d’avoir une vieillesse indigente et méprisée. Au reste, je m’en moque. Ce qu’il m’importe, c’est de jouir des peu d’instants qu’il me reste et pour cela j’ai besoin de te voir souvent, de te voir bien portant, bien heureux, bien gai, bien libre d’esprit. Pour cela, il ne faut pas que tu travaillesc autant. Je t’en conjure donc, mon cher bien-aimé Victor, ménage-toi, vendons toute la maison s’il le faut, mais soyons heureux : voilà ma philosophie, voilà mon présent et surtout mon avenir.
Mon cher petit homme, c’est le souvenir de ton mal, c’est la certitude que tu l’auras augmenté en travaillant cette nuit qui me dictentd cette lettre. Mais je t’aime. Je donnerais ma vie pour toi avec délices.

J.

BnF, Mss, NAF 16325, f. 236-237

Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « je voudrais trouvé ».
b) « la préocupation ».
c) « tu travaille ».
d) « dicte ».


19 décembre [1835], samedi soir, 8 h.

Mais, mon cher petit bijoua, il est absurde que vous soyez de jour en jour plus joli. À quoi que ça vous avance de faire tourner la tête à une pauvre femme comme moi, dites ? Est-ce le délire de votre imagination stérile qui vous suggère cela ? Dites ? Dans tous les cas, vous pouvez vous vanter de m’en inspirer une belle, de passion.
J’ai lu la lettre de Mme Duchambge [1]. S’il m’était possible de ne pas éprouver de jalousie et d’envie chaque fois qu’un autre ou qu’une autre reçoit un motb écrit de toi quelque insignifiant qu’il soit, je te dirais que tu as bien fait de répondre à cette pauvre femme. Mais, mais…
C’est que je suis jalouse justement. Sinon de la femme, au moins de la lettre que je voudrais garder pour moi toute seule, dût Mme Duchambge et toutes les musiciennes de la terre mourir de chagrin et pleurer du matin au soir sans interruption. Voilà pourquoi je ne dirai rien. Je ne suis pas généreuse, MOI.
Mon cher petit Toto, si vous êtes bien bon, bien bon, vous viendrez de bonne heure ce soir et vous vous en irez bien tard. Ce serait charmant, et cela correspondrait parfaitement avec le dîner d’huîtres que vous m’avez fait faire ce soir.
Faites ça, mon cher petit homme, et vous rendrez votre Juju bien heureuse et bien jolie. Elle est déjà bien amoureuse. Vous voyez qu’il ne manquerait rien à ses perfections, si vous vouliez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16325, f. 238-239.
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « bijoux ».
b) « une mot ».

Notes

[1Pauline Duchambge (1778-1858) est un compositeur français. En 1814, elle se consacra à l’enseignement de la musique. C’est alors qu’elle composa de nombreuses romances qui ont rendu son nom populaire. En 1835, la pièce XXVII des Chants du crépuscule de Victor Hugo, « La Pauvre fleur », fut mise en musique par Pauline Duchambge (Le Monde Dramatique, tome 2, 1835).

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne