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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 décembre [1835], vendredi matin, 10 h. ¼

Bonjour, mon cher adoré, bonjour, mon Toto bien-aimé. As-tu passé une bonne nuit ? M’aimes-tu ? Vas-tu bientôt venir ? Voilà ce qu’il m’importe de savoir avant même que j’aie les yeux ouverts. À propos d’yeux ouverts, j’ai les miens dans un bel état dans ce moment-ci. Ma servante, qui ne sait absolument rien faire de bien, s’est arrangéea de manière à faire une fumée telle qu’on ne se voit plus dans ma chambre. On dirait un incendieb moins la flamme.
Mais, mon cher bijou, que je vous aime tous les jours plus, c’est peut-être pour combler le déficit de votre côté car, vous, vous m’aimez tous les jours moins. C’est bien triste et bien malheureux. Quoi que je fasse, je m’en aperçoisc et cela me décourage. Je fais tout mon possible pour que tu ne t’en aperçoivesd pas, car j’ai remarqué que ma tristesse, bien loin de t’attendrir, t’irritait. Aussi depuis ce temps-là, je tâche d’être gaie et heureuse. Mais au-dedans de moi, je suis triste et je désespère.
Mon cher petit Toto chéri, quand donc me reviendras-tu tout entier, en personne et en amour ? Ce jour-là serait un jour bien joyeux et bien rayonnant qui me rendrait le bonheur et la confiance, et je t’en remercierais par bien des tendresses de cœur. Mais en attendant et en n’attendant plus, je suis triste. Je souffre, je crois que tu ne m’aimes plus et je suis bien malheureuse.
Cependant, si tu voulais, tu changerais tout ce noir en lumineux, toutes ces tristesses en joies. Ô, tâche de vouloir !

J.

BnF, Mss, NAF 16325, f. 232-233
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « c’est arrangée ».
b) « une incendie ».
c) « je m’en apperçois ».
d) « tu ne t’en apperçoive ».


18 décembre [1835], vendredi soir, 8 h.

Oui, mon cher bien-aimé, j’ai été bien méchante tantôt, mais c’est toujours parce que je t’aime trop, et jamais autrement, ce qui est bien une excuse.
Tu ne sais pas, mon cher bien-aimé, combien la négligence que ton travail t’oblige de faire de ma personne et de ma maison me rend triste et me donne à croire que tu m’aimes moins qu’autrefois. De là vient cette irritabilité, cette facilité à m’inquiéter de tout, même des choses qui n’existent pas. Je t’en demande pardon une bonne fois, et pour le passé et pour l’avenir, car je sens bien que c’est un tic douloureux qui ne se passera qu’avec mon amour, c’est-à-dire qu’avec ma vie.
Mon cher petit homme, je n’ajoute pas grande foi à tes promesses. Cependant, si tu étais assez charmant pour venir de bonne heure ce soir, je t’en serais reconnaissante toute ma vie et je te le témoignerais ce soir par des millionsa de caresses plus tendres les unes que les autres. Si malgré cela tu ne venais pas, je tâcherai que tu ne t’aperçoivesb pas de mon désappointement et de ma tristesse. Je serai gaie et bonne comme si j’avais été la plus heureuse et la plus aimée des femmes.
Tu vois, mon cher petit Toto, que je suis en bon chemin d’expiation et que je me fais douce et résignée, comme le Gustave DROUINEAU [1] sur son monument funéraire.
Je vous aime, mon Toto, car je ris dans ma lettre et je pleure dans mon cœur. Je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16325, f. 234-235
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « des des millions ».
b) « tu ne t’apperçoive ».

Notes

[1Gustave Drouineau (La Rochelle, 1798-Paris, 1878), auteur dramatique et romancier français. En 1835, il fut interne près de La Rochelle. Nous ignorons à quoi l’épistolière fait référence en employant l’expression « comme le Gustave Drouineau sur son monument funéraire ».

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