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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Paris, 14 [octobre] 1835, 1 h. ½ après midi

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, je t’aime du fond de mon âme. Comme nous avons été cruels l’un envers l’autre hier ! Moi, je me repens bien de tout ce que je t’ai dita d’injuste et de méchant. Je désavoue tout le mal que je t’ai fait et celui que tu m’as fait. Je ne crois à rien de tout cela. Je ne me souviens de rien. JE T’AIME.
Comme j’étais souffrante un peu et fatiguée beaucoup, je suis restée au lit jusqu’à 10 h. Ensuite j’ai fait venir un bain que j’ai pris jusqu’à midi et demib et puis j’ai déjeunéc de toutes mes forces et puis je t’écris de toute mon âme et puis je suis heureuse et puis je suis geaie comme un CHIEN.
Je ne sais pas encore au juste dans quel état est mon raisin, mais si je puis en augurer par la mare de jus qui se répand dans la salle à manger, ce n’est pas encore là une fameuse spéculation que j’ai faite. Je n’ai pas encore vu le Rouveix [ ?]. Peut-être ne viendra-t-il pas avant demain.
Pauvre cher bijou, je suis bien tourmentée par le souvenir du mal que tu avais à ton pauvre œil droit hier au soir. Je crains que tu ne te sois encore fatigué cette nuit et que tu souffres davantage ce matin. J’ai bien besoin de te voir pour te caresser, t’aimer et te guérir. J’espère que tu vas venir bientôt car il est déjà tard. Je t’attends sinon avec impatience du moins avec bien de l’amour.

BnF, Mss, NAF 16325, f. 1-2
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « je t’ai dis ».
b) « midi et demie ».
c) « déjeunée ».


Mercredi soir [14 octobre 1835 ? [1]], 8 h.
2

Je t’aime mon Victor, je suis pleine de courage, de confiance et d’avenir. Si je pouvais te parler le langage de mon âme, tu serais ravi, émerveillé, ébloui parce que ce que je sais pour toi est charmant, admirable, enivrant. Mais l’état de mutisme dans lequel je suis ne me permet pas de mettre avec des mots tout ce que j’ai au dedans de moi. Je n’ai d’interprète que la pantomimea, c’est-à-dire un serrement de main, une étreinte, un regard, mes genoux à tes pieds dans l’attitude d’une femme qui adore. Voilà tout ce que j’ai pour me faire comprendre. Et pourtant je t’aime avec amour, je t’aime avec intelligence. C’est toujours quand je te parle ou quand je t’écris que je suis contrainte et embarrassée parce qu’aucun des sons que rend ma voix, aucun des mots que je trace ne rendent l’amour tel qu’il est dans mon cœur. Je ne sais à quoi attribuer mon insuffisance. Est-ce à mon esprit, est-ce à mon ignorance ? Peut-être à rien de tout cela, mais à l’amour même que j’ai pour toi. Oui, mon Victor. Je t’aime tant que je ne sais pas te le dire. Je t’admire tant que j’oublie jusqu’à mon existence. Oui, je t’aime. Oui, je t’aime. Je crois en toi, j’ai foi en notre amour, je ne vis qu’en lui. J’espère que tu viendras te reposer près de moi un peu ce soir. Pauvre cher Toto, tu es si fatigué que je serais bien soulagée si tu voulais prendre un peu de repos.
Il pleut à torrents dans ce moment mais nous ne sommes plus aux Metz [2] et je ne crains pas que cela t’empêche de venir. À bientôt donc.

BnF, Mss, NAF 16325, f. 3-4
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « pamtomime ».

Notes

[1En l’absence d’indication sur le quantième et le mois, la succession des lettres dans le classement de la BnF, les jours de la semaine et heures qui se suivent chronologiquement et le contenu des lettres nous invitent à proposer cette datation, d’autant que la lettre est signalée comme étant la 2e (de la journée ?)

[2Lors de leur séjour aux Metz, proche de Jouy-en-Josas, leurs deux maisons étant éloignées de quatre kilomètres et séparées par la forêt, Victor ne venait pas rendre visite à Juliette lorsqu’il pleuvait trop (Jean-Marc Hovasse, ouvrage cité, t. I, p. 633).

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