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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 juillet [1839], dimanche midi

Je t’aime mon Toto. Je t’aime mon petit homme courageux et dévoué. Je t’aime, ne vaa pas aux émeutes si par hasard il y en avait [1]. Pense que je deviendrais folle si tu étais blessé. Je t’en prie mon bon ange, ne vaa pas dans les rassemblements ni même à la barrière St-Jacques. J’ai rêvé de toi toute la nuit, c’est bien le moins que le bon Dieu m’envoie les songes puisqu’il m’ôte la réalité. Mais pendant notre voyage, je CUMULERAI. Oh ! que je voudrais déjà y être. QUEL BONHEUR !!!b À propos de bonheur, je veux mon portrait fait ou non fait. Quand je dis MON portrait, il va sans dire que c’est le tien mais comme l’homme et la femme ne font qu’un, je me permets cette locution rita-cristina [2]. Je ne peux pas dire à quel point je haïrais M. Boulanger s’il ne me le faisait pas, si ce n’est en disant combien je l’aimerai s’il me le fait pour le jour de ta chère petite fête. Jour Toto, papa est bien i. Et il ira chez le Boulanger, papa, chercher une bonne petite CROÛTE pour donner à manger à l’amour de la pauvre Juju. N’est-ce pas papa ? Sois béni mon cher petit homme, tu es mon petit saint bien-aimé. Je vais bien travailler aujourd’hui pour être un peu digne de toi. La mère Pierceau ne vient pas aujourd’hui, ainsi j’ai toute latitude. Baise-moi, aime-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 109-110
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « vas ».
b) Les 3 points d’exclamation courent jusqu’à la fin de la ligne.


14 juillet [1839], dimanche soir, 10 h.

J’ai encore piochéa longtemps après toi, mon adoré, tant et si bien que je n’ai eu que le temps de prendre un peu de nourriture avant de t’écrire. Enfin voilà. Si je ne gagne pas d’argent c’est pas de ma faute car JE TRIME joliment tous les jours. La petite Besancenot me défrise les cheveux dans ce moment-ci sous prétexte de me coiffer. Je la laisse faire sous prétexte que je l’aime et que c’est une bonne petite fille [3]. Il fait horriblement chaud et je voudrais être avec vous n’importe où. Dites donc, si je n’étais pas pauvre, je garderais joliment votre bourse que vous avez oubliée sur ma table en vous faisant accroire que vous l’avez perdue. Mais ma roublardise s’y oppose ainsi je vous la rendsb en vous priant de me mener dîner demain avec elle aux Marronniers [4]. Mais il n’y a pas de danger, vous aimeriez mieux vous pendre que de me donner le plus grand bonheur après celui de déjeuner avec vous. Vous êtes une bête, baisez-moi, aimez-moi, et venez tout de suite. J’ai bien chaud, bien soif et bien de l’amour. Je vais écrire à Mme Krafft mais je vous assure que vous avez tort de vouloir ce pauvre chien que vous ne soignerez, ni n’aimerez. C’est déjà bien trop pour vous de [illis.]

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 111-112

Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « piocher ».
b) « rend ».

Notes

[1Suite à l’insurrection de mai 1839, où la Société des saisons avait vainement tenté de renverser le régime de la monarchie de Juillet, la justice, le 12 juillet, a condamné à mort son chef Armand Barbès (1809-1870). Hugo écrit aussitôt une lettre « Au roi Louis-Philippe, après l’arrêt de mort prononcé le 12 juillet 1839 » qui sera publiée dans Les Rayons et les Ombres. Des manifestations en faveur de Barbès ont lieu le 13 juillet. Le 14, la peine de Barbès est commuée en travaux forcés à perpétuité.

[2Juliette, qui ressent ne faire qu’un avec Hugo, pense au cas des sœurs Rita et Cristina Parodi, siamoises nées en 1829 et mortes au bout de huit mois, que leurs parents, pour lever des fonds et consulter les meilleurs médecins, avaient exposées à la curiosité payante du public.

[3Juliette a de l’affection pour Résisieux Besancenot.

[4Les Marronniers est un restaurant réputé de Bercy.

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