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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 décembre [1840], mardi matin, 11 h. ½

Vous avez bien vite vu le bout de votre enthousiasme et de vos promesses, mon cher petit bien-aimé, je ne l’aurais pas cru si tôt et je vous attendais ce matin sous les armes. Enfin, vous ne l’avez pas voulu, ce n’est pas ma faute car jamais vous n’avez été plus attendu ni plus désiré par moi que ce matin. Toto je vous aime. Toto je vous adore de tout mon cœur et de toute mon âme.
Je viens d’envoyer Suzanne chez Carcel [1] pendant que je t’écris et après je copierai dans mon lit en t’attendant. J’aime mieux cela que de l’envoyer tantôt au moment où j’en aurai besoin pour le ménage. Pendant ce temps je ne brûle pas de bois. Je me chauffe dans mon lit, je trouve la peau de chevreuil [2] sur les pieds une bonne invention surtout avec l’oreiller par-dessus. Tu ne sais pas encore, méchant homme, combien c’est bon car hier tu n’as eu que la peau seule, ce qui n’est pas la même chose du tout. J’ai dans le cœur une crainte que je ne te dis pas mais qui me chatouille désagréablement, c’est que tu ne sois tombé hier en t’en allant. Il fait si mauvais à marcher et tu es si distrait que je tremble vraiment chaque fois que je te sais dehors d’un temps pareil à celui-ci. Je voudrais te voir tout de suite pour être bien sûre qu’il ne t’est rien arrivé et puis aussi pour te baiser sur toutes les coutures.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 259-260
Transcription de Chantal Brière


22 décembre [1840], mardi soir, 4 h. ¾

Je ne t’ai pas encore vu d’aujourd’hui, mon adoré, et j’ai du remords en souhaitant de te voir avec le dégel qu’ila fait et les bottes percées que tu as. Je suis furieuse en pensant qu’on te laisse jouer ta santé, et plus encore, sur une semelle de botte. En vérité tu es bien coupable envers tous ceux qui t’aiment en négligeant de recommander à tes domestiques d’avoir soin de ne pas te donner des bottes trouées comme celle que tu avais hier. J’espère au moins que tu n’auras pas oublié de mettre la lettre du bottier à la poste ? Il me tarde de savoir que tu as les pieds secs. À propos j’ai ma lampe et trois francs de moins dans ma bourse, il faut espérer que ce sera la dernière fois de cet hiver qu’on la fera raccommoderb. J’ai fait aussi acheter de l’odontine [3] ce qui diminue considérablement mon argent, 30 f. à Jourdain, 2 f. à la marchande de modes, le blanchisseur, les élixirsc, les odontinesd, les savons et les eaux de Cologne, tout cela me coule à fond comme un bateau à charbon dans une débâcle. Ça n’est pas très GEAIE. J’ai copié deux feuilles entièrese ce matin, je vais m’y remettre tout à l’heure. Je n’aurais même pas désemparé d’une minute si tu avais eu besoin de la copie tout de suite. Je ne prends mon temps que parce que tu m’as dit que tu n’en étais pas pressé. Je voudrais bien te voir, mon adoré, est-ce qu’il n’y a pas moyen pour cette fois de marcher sur autre chose que sur tes pieds ? Je voudrais te baiser et te caresser mais je ne veux pas que tu t’enrhumes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 261-262
Transcription de Chantal Brière

a) « qui ».
b) « racommoder ».
c) « élixir ».
d) « odontine ».
e) « entière ».

Notes

[1L’horloger Bertrand Guillaume Carcel (1750-1812) est l’inventeur d’une lampe dans laquelle l’huile s’élève vers la mèche grâce à un mécanisme de rouages et d’un piston. Cette lampe qui porte son nom sera perfectionnée et commercialisée par ses successeurs.

[2Souvenir du voyage sur les bords du Rhin. Jean-Marc Hovasse signale le passage des Misérables où il est question de cet élément décoratif acheté « à Tottlingen, près des sources du Danube » et présent dans la maison de Monseigneur Myriel. (Victor Hugo. Tome 1. Avant l’exil, Fayard, p. 795).

[3Remède secret contre le mal de dents ou opiat (pâte) pour soigner les dents.

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