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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 novembre [1840], dimanche matin, 9 h. ½

Tu vas revenir tout à l’heure, mon bien-aimé, demain je l’espère. En attendant je pense à toi, je te désire et je t’aime. Il y a huit jours à pareille heure nous roulions tristement sur la route de Meaux [1] comme des pauvres gens qui savent que c’est leur dernier jour de bonheur d’ici à bien longtemps. Depuis nous avons eu encore quelques bons moments, quelques charmantes nuits mais ça n’est pas le bonheur entier, complet d’un jour et d’une nuit, d’un autre jour et d’une autre nuit passés ensemble sans se quitter d’un instant. Je vois avec chagrin s’approcher le jour où je n’aurai plus ni nuit ni jour à te voir et à te sentir auprès de moi car voici que toute ta famille revient à Paris [2]. Et une fois installée, ce sera à grand peine si je te vois une demia-heure par 24. C’est alors que je serai triste et désolée et qu’il faudra être bien doux et bien indulgent avec moi car je serai bien à plaindre. N’est-ce pas mon amour que tu seras bien bon et bien patient avec ta pauvre Juju, quand le chagrin de ne pas te voir l’aura rendueb enragée comme un loup qui n’a pas mangé depuis huit jours ? En attendant il faut bien profiter des quelques minutes qui nous restent et les mettre bien à profit. Pour cela, mon adoré, tâche de revenir bien vite ce matin et tâche aussi de t’en aller bien tard. De ne pas t’en aller du tout ce qui serait encore bien mieux. Je t’aime mon Toto chéri. Je t’adore mon bon petit homme. Je baise tes pieds et tes mains.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 141-142
Transcription de Chantal Brière

a) « demie ».
b) « rendu ».


8 novembre [1840], dimanche après-midi, 2 h. ½

J’ai fini mon jardinage et mon débarbouillage, mon bon petit homme, mon ménage esta fait et je suis habillée. Je suis prête à recevoir mes convives. J’ai vu tout à l’heure la marchande de modes, mon chapeau de velours est bien fané et bien surannéb et n’est plus guèrec bon que pour la pluie et la tempête. Cependant je n’ai pas osé prendre sur moi d’en commander un autre avant de t’avoir consulté. Ce que tu voudras je voudrai et sans murmurer encore, c’est ça qui est beau. Mais c’est que je t’aime de toutes mes forces et que je ne crains rien tant au monde que de te déplaire. Voici aussi la couturière pour ma Clairette [3]. Quant à moi je ne me fais pas faire la plus petite robe c’est convenu et je ne m’en plains pas.
Jour mon petit Toto, je t’aime, bonjour mon pauvre amour. Tu es à Saint-Prix [4] sans aucun doute, mon cher bien-aimé, et je ne peux pas espérer te voir avant minuit. C’EST BIEN SÈCHE [5], vous ne sentez pas cela comme moi, vous, parce que vous ne m’aimez pas comme je vous aime. Vous êtes un affreux bonhomme qui ne songez qu’à regarder la forme de votre paletot et la petitesse de votre ceinture. Vous croyez que je ne vous vois pas mais comme j’ai toujours les yeux sur vous je vous vois et je vous admire. Chère âme je vis avec toi comme avec mon enfant parce que ta douceur est ravissante mais dans le cœur je t’adore et je te divinise comme un pauvre petit bon Dieu que tu es.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 143-144
Transcription de Chantal Brière

a) « est ménage ».
b) « surannée ».
c) « guerre ».

Notes

[1Hugo et Juliette achèvent un voyage de deux mois qui les a conduits sur les bords du Rhin. Ils arrivent à Paris le 1er novembre.

[2La famille Hugo s’était installée pour la saison d’été au château de la Terrasse à Saint-Prix. Hugo s’y rendait très régulièrement et revenait par la diligence de nuit. Il semble pourtant qu’à cette date Mme Hugo et ses enfants soient de retour à Paris depuis plusieurs jours.

[3Sobriquet pour Claire.

[4La famille Hugo s’était installée pour la saison d’été au château de la Terrasse à Saint-Prix. Hugo s’y rendait très régulièrement et revenait par la diligence de nuit. Il semble pourtant qu’à cette date Mme Hugo et ses enfants soient de retour à Paris depuis plusieurs jours.

[5C’est bien sèche : c’est bien sec, dur, aride, désagréable.

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