23 mai [1840], samedi après-midi, 2 h. ½
Je viens d’écrire à Mme Triger et au bottier afin de lui bien expliquer ce qu’il y a à faire aux nouveaux brodequins. Il me reste encore Claire à habiller, à débarbouiller et moi à peigner et décrasser. J’ai les petites Besancenot qui me cassent les oreilles, du reste j’ai très mal à la tête et je trouve que les toits de l’Hôtel de Ville sont indignement ratés. Sur ce baisez-moi, aimez-moi et revenez bien vite car j’ai besoin de vous mordre et de vous taouiner. J’ai peur que vous n’alliez à la campagne [1] aujourd’hui et que vous ne reveniez que demain, j’en ai plus peur qu’envie et je suppose que le cadeaua de l’insidieux vieillard n’a pas d’autre but que de vous attirer à cinq prix [2] ce qui est quatre fois et demie trop cher pour moi. Je prévois que demain sera fort triste et fort monotone pour moi, je n’aurai même pas la consolation de parler de vous parce que je n’aurai pas un chat, pas même la petite Besancenot qui sera à son Zardin [3] demain. Enfin tout n’est pas roses dans la vie et encore moins bonheur. Il faut que je me dépêche car il est tard déjà et votre tisaneb n’est pas faitec et tout est en débarras. Je suis très contente au fond que nous ayons payé les Triger, il reste encore une dette criarde que je voudrais éteindre le plus tôtd possible : c’est la robe de Cologne. Le reste viendra quand il pourra et à son aise mais je verrais avec plaisir cette dette payée à tout jamais. Ce que tu as écrit pour la mère Lanvin est charmant et elle sera trois cent mille fois ravie. J’ai donné à Claire sese 5 F. en lui promettant de l’envoyer chercher à ta fête si elle travaille bien. Tout est donc pour le mieux et si vous vouliez ne pas aller à la campagne je serais la plus joyeuse, la plus riche, la plus heureuse et la plus comblée des femmes. Taisez-vous !!!!!!!f
Je vois d’ici le petit oranger, heim qu’il est joli et qu’il ferait bien sur ma fenêtre. Voime, voime, fort joli ! Mais je vous trouve encore plus joli et vous sentez bien plus bon. Baisez-moi. Je vous adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF, 16342, f. 161-162
Transcription de Chantal Brière
a) « cadeaux ».
b) « tisanne ».
c) « fait ».
d) « plutôt ».
e) « c’est ».
f) Sept points d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.