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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 novembre [1837], dimanche midi ½

Bonjour mon petit homme chéri. Comment vas-tu ? Je m’en veux d’avoir passé une bonne nuit si tu n’as pas dormi toi, comme c’est bien probable. J’étais si fatiguée de la nuit passée que j’ai dormi comme un sabot toute celle-ci. Toi pendant ce temps mon pauvre adoré tu travaillais et tu avais bien froid, c’est affreux à penser. Encore si cela devait finir bientôt, mais pas du tout. Plus nous allons et plus ton fardeau s’alourdita de tous les embarras de ma vie. Je ne prévois pas quand cela finira. C’est bien triste mon pauvre adoré, car je sens que tu dois être au bout de ton courage et de ta persévérance. Pauvre bien-aimé, je m’étonne même que tu aies pu y tenir si longtemps. Mon pauvre ange, il serait bientôt temps que ce fût à mon tour de veiller et de travailler. Si je le pouvais, avec quelle joie je te remplacerais. Mon Dieu pourquoi cela ne se peut-il pas dès ce soir ? Je t’aime mon Toto. Je t’aime avec les entrailles et avec le cœur. Je souffre quand tu souffres. Je voudrais bien te voir tout de suite. Il me semble toujours qu’il t’est arrivé quelque chose de mauvais quand je suis plusieurs heures sans te voir. Dieu me préserve de ce malheur pourtant, car je ne sais pas comment je le supporterais. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 69-70
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « allourdit ».


19 novembre [1837], dimanche soir, 5 h. ½

Mon cher petit Toto, je ne vous vois plus qu’en rêve ou qu’en apparition, car je ne peux pas croire que c’est réellement vous que j’ai vu tantôt tant a été courte votre visite. Il est vrai que j’ai là la presse périodique moins vaporeuse que vous qui me ferait croire que quelqu’un de chair et d’os me l’a apportée.
Si j’étais un esprit comme vous, je pourrais me contenter de cette vie de farfadets mais je ne suis, vous le savez, qu’une vieille femme très grognon et très amoureuse, c’est pourquoi je me trouve si malheureuse. Voyons je sais bien que vous travaillez. Ne vous fâchez pas là. N’allez-vous pas aussi vous mettre à grogner parce qu’on vous aime trop, ça serait fièrement bête par exemple. C’est bon pour moi. Je vous écris avec je ne sais pas quoi de hideux qui ne veut pas faire une seule lettre lisible. C’est vexant pour mon amour-propre. Cependant je ne pousse pas les hauts cris. C’est que je suis philosophe voyez-vous, et si je vous aimais moins je ne sais pas trop ce qui pourrait me faire le plus petit chagrin. Jour mon petit o, je t’aime, je t’adore. Pense un peu à moi et aime-moi un peu.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 71-72
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


19 novembre [1837], dimanche soir, 8 h. ½

Cher petit homme tu es souffrant et j’ai été obligée de te laisser partir sans être guéri. Cela me tourmente. Si tu pouvais être malade sans souffrir et sans t’ennuyer et que je pusse te soigner je serais ravie parce que c’est mon bonheur et ma joie que d’avoir soin de toi. Mais loin de là, tu souffres, tu t’ennuies et je ne peux pas te donner mes soins. Alors je suis triste et inquiète.
Je viens d’envoyer chercher les figues grasses [1] qui ne pourront pas nous servir pour ce soir. Il faudra les prendre demain matin bouillies dans du lait, c’est-à-dire boire le lait dans lequel elles auront été bouillies. Ce remède est un des plus efficaces dans les maux de gorge, seulement je ne me rappelais pas bien comment cela s’administrait. Je te fais des feuilles de ronces [2] pour ce soir. J’espère mon cher petit malade adoré que tu pourras venir te soigner un peu auprès de moi. Si tu ne venais pas je ne sais pas à quel point je serais triste et inquiète. Je t’aime mon Toto. J’ai mis en toi tout mon avenir, toute ma joie, tout mon amour.

J.

BnF, Mss, NAF 16332, f. 73-74
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

Notes

[1Variété de figues dites aussi « figues jaunes », utilisées en pharmacie : on s’en servait après les avoir fait rôtir sur le feu, pour les mettre dans la bouche contre le mal de dents. Mélangées à d’autres ingrédients, elles entraient également dans la composition de cataplasmes.

[2Les feuilles de ronces en décoction avec du miel pouvaient être prises en gargarismes contre les maux de gorge.

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