18 novembre [1837], samedi après-midi, 2 h. ¾
Je t’écris avec accompagnement du Rubini [1] du tuyau de poêle qui crie à tue-tête [du haut de la ?] cheminée la fameuse barcarolle ramonez-ci ramonez-çaa la cheminée du haut en bas [2], le refrain compliqué d’un nuage de suie qui me saupoudre mon papier, mes tentures et ma persienne d’une couche solitaire tendre [3] des plus agréables et pour finir cette harmonie, la perspective de recommencer demain le même agrément. C’est là le cas de fumer par tous les bouts. Encore si tu avais la complaisance de me soustraire à cet effroyable bouleversement. Mais non, tu t’en vas et me laisses là comme un pauvre chien galeux. Si je t’aimais moins ce serait bien le moment de ne plus t’aimer du tout. Mais je suis faite de telle façon que plus tu me fais des sottises et plus je t’aime. Comment me trouvez-vous ? Bien et vous ?
Il ne serait pas impossible que le Manière ne vînt se joindre au charme du ramonage. Cela ne serait que juste, après l’avoir attendu plus d’un mois les pieds sur les chenets. Jour mon petit o. Si vous croyez que je m’amuse vous vous trompez du tout au tout. Je ne fais que vous aimer.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16332, f. 65-66
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « ramoné ci ramoné ça ».
b) « c’est ».
18 novembre [1837], samedi soir, 6 h. ¼
Vous êtes un bien charmant jeune homme, voime, voime. Et moi qui avais assez compté sur vous pour passer ma robe noire dans la chambre froide et obscure de Suzette. En vérité je suis bien bête, n’est-ce pas ? J’ai eu les fumistes [4] jusqu’à 5 h. ½. Il a fallu depuis ce temps essuyer et épousseter toute la chambre qui ressemblait par la couleur à un tuyau de poêle non ramoné depuis dix ans. De tout ce gâchis il en résulte que ma cheminée fume et fumera tant que cheminée elle sera. C’est consolant et même encourageant pour la nouvelle séance qui se prépare pour lundi prochain. Quellea heureuse femme je suis ! Pour peu que cela continue, j’aurai l’air d’un jambon de Mayence ou d’une habitante du Groenland, ce qui sera pas [5] régalant même pour vous (Allah Kérim [6]) Dieu est grand, c’est comme ça qu’on dit à présent pour exprimer une vexation du premier ordre. C’est oriental et à la portéeb de tout le monde.
Dites donc mon petit homme, quelle nouvelle espèce d’empêchement vous aura retenu ce soir ? Quelle femme ou quel homme vous a happéc aujourd’hui ? Cela durera-t-il longtemps ? Il faudrait me le dire, car en vous attendant j’irai faire un voyage en Égypte ou en Grèce dans la diligence par complaisance et en vous accordant toute mon indulgence. Faut-il que je vous aime pour supporter d’un œil presque sec toutes les calamités qui m’arrivent, hein ?
Juliette
BnF, Mss, NAF 16332, f. 67-68
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « qu’elle ».
b) « porté ».
c) « appé ».