2 décembre [1841], jeudi matin, 11 h.
Bonjour mon cher bien-aimé, bonjour mon amour chéri. Comment vas-tu ce matin et comment m’aimes-tu ? Moi, je vous aime, je vais bien et je vous aime.
Je suis très heureuse que vous n’ayez pas eu votre culotte de COUR hier au soir car alors je n’aurais pas eu la mienne hier, à la vérité fort courte, mais par le temps qui court, c’est le moyen de ne pas la crotter et de ne pas se trouver comme le sieur Bocage au milieu des flammes de l’océan, des vagues de l’incendie et des boues de tout, obligé de relever sa culotte par-dessus sa tête [1]]. J’espérais que malgré l’Académie vous viendriez ce matin, mais vous n’êtes pas un homme assez fort pour desservir deux femelles en un jour, celle d’outre-Seine et celle non moins exigeante de la rue Sainte-Anastase au Marais [2]. Aussi, en tout état de chose vous avez donné la préférence à la vieille topinambour des Quatre-Nations [3] sur la pauvre Juju de la nature. Chacun son goût mais moi je sais bien que je vous préférerais à TOUT, même au vieux PERDREAU [4]. Baisez-moi et ne regardez pas les grisettes, les toupies [5] et les guinches [6] passer du haut de votre fauteuil plus ou moins académique. Baisez-moi encore, scélérat, et prenez garde à vous.
L’affreux Jacquot est sur mon lit, voulant ronger et tout dévaster. TOUT, mais je l’en empêche bien. Le voici qui vient mordre jusqu’à ma plume dans ma main, je ne sais comment m’en débarrasser. Heureusement que voici le déjeuner, ce qui fera une diversion et une occupation à son humeur mordante et dévorante. En attendant, baisez-moi et aimez-moi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 167-168
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
2 décembre [1841], jeudi soir, 3 h. ¾
Est-ce qu’on donne Angelo ce soir, mon amour ? Alors, je vous prierai de m’y conduire. Je passe par-dessus la CASQUETTE pour revoir Angelo, Tisbe, Catarina, et Rodolfo [7]. Je me suis même dépêchéea de me peigner pour être prête à tout événement, seulement je ne me suis pas frisée parce que la nuit est trop vite arrivée [8]. Ce sera pour demain si j’en ai le temps. J’ai fait le sacrifice de mes plus longs, de mes plus beaux et de mes plus noirs cheveux pour faire un cordon avec lequelb je compte vous attacher à moi pour l’éternité [9]. Je viens de les envoyer au bijoutier et tantôt, j’enverrai la longueur de votre cordon de montre afin qu’on ne le fasse ni plus long ni plus court. Tout à l’heure, je chercherai votre culotte mais je serais bien étonnée si je l’avais.
Où êtes-vous, Toto ? À qui pensez-vous, Toto ? Qui aimez-vous, monstre ? Est-ce que vous êtes encore à l’Académie ? Vous en êtes très capable. Dépêchez-vous donc un peu s’il vous plaît, il y a bientôt 14 heures que je ne vous ai vu, c’est-à-dire quatorze siècles. Dépêchez-vous, dépêchez-vous de venir. J’envoie chez les Lanvin pour les prévenir d’aller chercher Claire après-demain [10]. Je vous baise les mains, les pattes, les griffes, les ongles, les dents et TOUT. Je vous adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 169-170
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « dépêché ».
b) « lequelle ».