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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 juin 1881

Paris, 8 juin 1881, mercredi, midi ½

Cher bien-aimé, il n’y a pas de Médard ni de Barnabé qui tiennent [1], ni de fiche ni branle d’aucune sorte qui puisse empêcher ma double restitus, celle d’hier et celle d’aujourd’hui [2], d’arriver jusqu’à toi. C’est déjà bien assez irritant qu’elles soient en retard en dépit de mon cœur toujours prêt à battre le plein de son amour, de son admiration et de son adoration pour toi. Mais depuis huit jours que ton livre a paru [3], je ne sais auquel entendre pour écouter la clameur de gloire qui s’élève autour de toi dans les lettres, dans les journaux, dans les bouches et dans les cœurs.
Ce bruit formidable comme le livre lui-même assourdit tous les autres bruits de la vie domestique et déroute et désheurea toutes les actions et tous les besoins. « C’est bête comme tout ce que je te dis là » [4] mais ma foi tant pis, je le dis tout de même car je n’ai pas le temps d’avoir de l’esprit ni même le sens commun, plus rare qu’on ne croit.
Je ne sais pas comment tu feras pour te tirer des candidatures Deschanelb et Charamaule [5]. À moins que, comme tu l’as fait hier à l’Académie, tu ne prennes fait et cause pour le plus jeune contre le plus vieux. Je ne me permets pas l’outrecuidance de te dire ce que je ferais si j’avais voix au chapitre, seulement je me risque à faire dans mon for intérieur des vœux pour ton Piou Piou comme disait l’adorable Charles en parlant de celui de Shakespearec qui était son frère. Je parle du Piou Piou [6]. « Je te dis tout cela comme je peux, à ma façon » [7] sans te demander de me dire que j’ai raison. D’ailleurs j’écris, je gribouille, au galop de ma plume d’oie pour te porter ma folle élucubration avant que tu ne sois sorti de ta chambre et que Mme Lockroy ne soit à table. Cher adoré, je ris avec toi parce que je suis joyeuse de ton triomphe sidéral, parce que tu te portes bien, parce que tu es encore plus grand, plus admirable et plus sublime, si c’est possible, par ton incommensurable bonté, que par ton immense génie, parce que je t’aime, parce que je t’adore et que je te bénis.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16402, f. 124-125
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « désheures ».
b) « Déchannel ».
c) « Schaspeare ».

Notes

[1Le 8 juin est la Saint-Médard, un « saint pluvieux » souvent invoqué dans la météorologie. Il est parfois associé à Saint Médard célébré trois jours plus tard, le 11 juin.

[2Juliette n’a pas écrit à Hugo la veille.

[3Les Quatre Vents de l’esprit est paru le 31 mai 1881.

[4Citation de Ruy Blas, Acte IV, scène 3 : « C’est bête comme tout, ce que je te dis là », dit don César au laquais.

[5Élection à un siège de sénateur inamovible suite au décès d’Émile Littré. Le sénat élira Deschanel le 23 juin 1881.

[6À élucider.

[7Allusion à cette réplique de la Reine à Ruy Blas : « Je te dis tout cela sans suite, à ma façon » (Ruy Blas, Acte III, scène 3).

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