Paris, 26 février 1881, samedi
Cher bien-aimé, mon cœur qui t’adore depuis quarante-huit ans s’est multiplié dans tous les cœurs qui pensent et qui aiment et les hommages que tu reçois aujourd’hui [1] sont ceux que je t’ai donnésa depuis le premier baiser que j’ai mis sur ta bouche jusqu’à aujourd’hui. Mon cœur, sans en rien perdre, s’est fondu en amour dans tous les cœurs ; et toute cette admiration attendrie, tout cet enthousiasme délirant qui accourent vers toi des quatre points de l’horizon ne sont que les manifestations recueillies de toutes celles dont j’ai remplib le ciel et la terre pour toi. D’autres te traduirontc mieux que je ne saurais le faire toutes les tendresses saintes et sublimes que je ressens mais personne au monde ne les dépassera en sincérité et en grandeur.
Je vais te porter mon cher livre rouge [2] afin que tu ajoutes cette date mémorable de ta naissance aux quarante huitièmes déjà inscrites depuis l’année 1833. Pour ne pas te fatiguer je ne te demande qu’une ligne, pas même une ligne, rien qu’un mot : je t’aime ! avec la date, où je pose d’avance mes lèvres dévotement.
Je suis entourée depuis ce matin de madriers, d’échelles, d’ouvriers d’affaires qui scient, qui cognent, qui tapent avec une activité joyeuse qui fait plaisir à voir en songeant qu’ils savent que c’est pour toi qu’ils travaillent [3].
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16402, f. 42-43
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
[Massin, Souchon]
a) « donné ».
b) « remplie ».
c) « traduirons ».