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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 novembre [1841], vendredi matin, 11 h.

Toto, vous êtes un monstre d’hypocrisie et je vous détesterais de toute mon âme si je pouvais. Comment, affreux vaurien, vous mettez votre paletot DE NUIT et vous ne venez pas chez moi. Chez qui donc alors êtes-vous allé, infâme scélérat ? Voilà ce qu’il faudra que je sache et que je sache bien afin de vous traiter selon le mérite et la grandeur de votre crime. En attendant, je suis mystifiée et vexée, je ne me fierai plus à vous désormais, affreux bonhomme.
Il fait beau ce matin, est-ce que vous ne me ferez pas un peu sortir ce soir ? Voilà trois semaines que je n’ai mis le pied dans la rue, si ce n’est pour aller chercher du bois [1]. Je vous assure, mon Toto, que j’ai bien mal à la tête et que c’est une conscience à vous de me laisser croupir chez moi sans me faire prendre l’air du tout. Si vous continuez ce régime apoplectiquea, il arrivera quelque accident que vous vous reprocherez, tout féroce que vous êtes, MONSEIGNEUR. En attendant, le Jacquot goblotte son blé de Turquie et fait sa toilette comme un jeune et mirifique académicien qui n’est pas de mes amis pour le quart d’heure.
Je ne vous ferai vos dessins que lorsque j’aurai le mien. Je ne suis pas payée pour avoir confiance en vous [2]. Aussi donnant donnant, vous aurez les papiers si vous me donnez le blanc-seing de la reine [3]. Je veux dorénavant vous traiter de Turc à Maure [4], et encore il n’est pas dit qu’avec toutes ces précautions je ne sois pas flouée comme dans plusieurs [bains  ?] [5].
Je ne vous conseille pas, si vous tenez à votre ROULEAU, de donner votre préface à copier à d’autresb qu’à moi [6]. Je ne vous conseille pas non plus de ne plus m’aimer si vous tenez à votre vie. Je vous conseille de venir bien vite si vous tenez à vos yeux et de m’être bien fidèle si vous tenez à moi. Jour vilain Toto, bonjour affreux TOTO, bonjour vilain scélérat. Je vous aime, ce dont j’enrage et je vous adore, ce dont je bisque.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 147-148
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « appopllectique ».
b) « d’autres ».


26 novembre [1841], vendredi soir, 8 h. ¼

Vous êtes mon petit homme bien-aimé et qu’il n’y a pas moyen de bouder et de grogner, quelque bonnea envie qu’on en aitb. Je vous pardonne tous vos trines à la condition que vous reviendrez cette nuit faire AMENDE HONORABLE AUX PIEDS DE MES AUTELS [7]. Vous avez fait très sagement et la petite poupée aussi de ne pas écouter le Boulanger de la peinture [8]. Je ne vous aurais jamais pardonné, et à lui encore bien moins, si vous lui aviez donné ce ravissant petit dessin pour lequel depuis hier je soupirais tout haut et tout bas. Voilà ce que j’appelle agir en honnête homme, en gentilhomme, en galant homme et en ravissant Toto.
Baise-moi, je te dis que tu es mon Toto. Je ne m’acquitte pas dès ce soir de ma promesse parce que votre supériorité m’écrase, mais dès que j’aurai repris du calme et que je serai rentréec en moi-même et en mon talent, je vous ferai deux POCHADES [9] hors ligne dont vous me direz de bonnes nouvelles. En attendant, mène-moi chez Barbedienne. Mon Toto, mon Toto, je vous en prie, je vous en prie, je vous en prie. Je suis frappée de l’idée que je n’aurai ni votre buste ni votre cher petit médaillon et cela me désespère [10]. Mon Toto, mon Toto, je vous en prie du fond du cœur et à deux genoux, menez-moi tout de suite chez Barbedienne. Je baise vos chers petits pieds de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 149-150
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « bon ».
b) « aie ».
c) « rentré ».

Notes

[1Voir la lettre du 21 novembre.

[2Voir la lettre de la veille. Juliette et Léopoldine Hugo se disputent un dessin de Hugo.

[3Reprise d’une réplique de L’homme à Fabiani dans Marie Tudor (1833), journée 1, scène 6 : « Vous aurez les papiers de Jane Talbot si vous me donnez le blanc-seing de la reine ».

[4Familier, traiter quelqu’un de Turc à Maure : le traiter avec une extrême dureté (les Turcs souverains des régences barbaresques traitaient fort durement les Maures habitants de ces régences).

[5Référence aux « bains maures », ou « bain turc », c’est-à-dire le hammam ?

[6Hugo vient de finir la rédaction du Rhin, il ne lui reste que la préface. Le jour même, il remet « à l’imprimerie la fin du tome II », et annoncera le surlendemain à son banquier Rampin que, « dans deux jours, [il donnera] la préface qui sera courte et pourra être imprimée en quelques heures ». La Préface imprimée, qui n’est pas si courte, sera datée de « janvier 1842 » : est-ce la même (Massin) ?

[7Citation adaptée d’une prière de l’Amende honorable au Sacré Cœur de Jésus : « Ȏ Cœur adorable de mon Sauveur et de mon Dieu ! pénétré que je suis d’une vive douleur à la vue des outrages que vous avez reçus et que vous recevez encore tous les jours dans le sacrement de l’Eucharistie, me voici prosterné pour vous en faire amende honorable au pied des Autels. »

[8S’agit-il du peintre et graveur-lithographe Louis Boulanger, intime de Hugo, illustrateur de certaines de ses œuvres et auteur de certains des portraits de sa famille ?

[9Peinture exécutée prestement par l’artiste, en quelques coups de pinceau ; esquisse négligée.

[10Juliette fait fondre par Ferdinand Barbedienne un buste de Hugo qu’elle recevra enfin le 29 novembre. Elle attend aussi de lui un médaillon contenant le portrait de son amant, mais le 20 novembre, elle redoutait qu’il ne fasse banqueroute. Elle demandait donc déjà instamment à Hugo de la mener à la fonderie.

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