2 septembre [1841], jeudi soir, 11 h. ¼
Mon bien-aimé, je ne sais par où commencer pour te dire d’une façon nouvelle que je t’aime de toute mon âme et aussi fraîchement que le premier jour, mais comme je ne suis pas une femme de PLUME, je courrais risque d’attendre longtemps avant de rencontrer un mot que ne fût pas banala, trivial et bancal. Ma foi je me résigne à vous servir mon poisson sans sauce et tel que je le pêche au plus profond de mon cœur. Toto je t’aime, Toto tu es mon divin petit homme que je baise et que j’adore. Tu n’as jamais été plus beau ni plus doux, mon bien-aimé, et je suis éblouie et ravie devant toi. Laisse-moi baiser tes chers petits pieds, mon amour, laisse-moi te porter sur mes bras comme un enfant, laisse-moi me pâmer sur ta bouche rose et parfumée. Je t’aime.
J’espère que je parviendrai à refaire de mon affreuse malleb vermoulue un charmant petit coffret en tapisserie qui vous fera venir l’eau à la bouche. Suzanne a déjà bien trimé dessus mais ce n’est rien en comparaison de tous les petits [illis.] que je médite. Apporte-moi un petit chinois [1] ! Et mes statuettes [2] ? Et mes porcelaines ? Et mes GRAINES ? Et mes coquillages [3] ? Je ne vois rien venir que la malleb qui poudroie et mon nez qui verdoie [4]. Reviens-y, pÔlisson, me dire que j’écris comme un cochon, tu verras comme je te recevrai. Avec ça que tu écris bien toi, il faut le dire vite. Vraiment, on n’est pas plus impudent COMME UN COCHON TOI-MÊME dis donc, avec ta chemise plus noire que tes cheveux. Que je t’y reprenne encore, affreux bonhomme, et je te passe mon âme à travers le corps4. (C’est que je ne badine pas, entends-tu académicien ?)
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 193-194
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « bannal ».
b) « male ».