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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 juillet [1841], samedi après-midi, 3 h. ½

Quand vous êtes revenu tout à l’heure, mon amour, j’étais en train de nifer mon ménage. Tous les jours je fais ma petite visite sans laquelle bien des nids à poussière et bien des toilesa d’araignées s’installeraient dans ma maison si je n’y prenais pas garde. Je viens de tailler mes plumes et je me suis encore coupé le pouce, ce qui est aussi drôle pour le moins que l’âge du capitaine Lambert [1]. Je vous demanderai cependant la permission de me débarbouiller avant de copier car tant que je n’aurai pas mis un peu d’eau sur ma figure je serai dans un état hideux. Aussitôt cette petite ablution faite je me livre à vous corps et âme et avec ma plus belle écriture que je vous prie de ne pas juger d’après celle-ci, comme le paysan d’Henri IV qui en avait de bien meilleur derrière ses fagots et qui le réservait pour une meilleure occasion [2]. Moi ce n’est pas du vin que je mets en réserve, c’est une BELLE ÉCRITURE MOULÉE, ia, ia monsire Dodo.
Je continue à avoir un affreux mal de tête, ce qui est bien embêtant. De toute façon, si je ne parviens pas à le calmer par de l’eau fraîche tout à l’heure, je suis une Chichi très aventurée car le mal de tête à ce degré-là vous ôte toute espèce de courage.
J’ai encore retrouvé tout à l’heure un Messager entier du 15 de ce mois [3]. Dans ma conscience je crains que vous ne l’ayez pas lu et je le resoumets à votre attention. On n’a pas plus de délicatesse, je me rends cette justice à moi-même. Si vous pouvez en avoir un peu aussi à mon égard vous me ferez marcher ce soir, quelles que soientb d’ailleurs vos occupations. Je sens que je crève dans ma peau de besoin d’air et d’exercice. Je vous aime mon Toto chéri.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 83-84
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « toile ».
b) « quelque soit ».

Notes

[1À élucider. Cette expression revient à plusieurs reprises aux mois de juillet, août et septembre. Les fils Hugo se préparent à passer le concours général et l’âge du capitaine est une plaisanterie commune pour moquer les problèmes géométriques et trigonométriques insolubles posés aux élèves.

[2À élucider. Référence sans doute à La Partie de chasse de Henri IV, comédie en trois actes de 1766 en prose de Charles Collé, ou à sa première version Le Roi et le Meunier, ou encore à l’opéra-comique Le Roi et le Fermier en trois actes de Michel-Jean Sedaine (musique de Pierre-Alexandre Monsigny), représenté pour la première fois en 1762 (d’après « L’Improvisateur français », paru en 1804). Toutes ces pièces traitent du même sujet et s’inspirent de l’anecdote suivante concernant le roi Henri IV : égaré dans une forêt du Vermandois, Henri IV rencontre un paysan, qu’il prie de lui servir de guide. Chemin faisant, le paysan dit au prince qu’il souhaiterait apercevoir le roi. « ‒ Volontiers, dit Henri ; lorsque nous serons arrivés, tu n’auras qu’à te tenir à côté de moi, et parmi tous ceux qui approcheront, tu remarqueras celui qui aura le chapeau sur la tête ; ce sera le roi ». Au lieu du rendez-vous, les courtisans s’empressèrent d’aborder le roi avec son chapeau. Henri se retourna alors vers le paysan qui avait lui aussi son chapeau sur la tête et lui dit : « Eh bien ! vois-tu qui est le roi ? ‒ Ma foi monsieur, dit le paysan, c’est vous ou moi ». Or dans les pièces, en général, le roi s’arrête un moment chez le paysan, découvre sa famille et y boit du vin.

[3Le Messager des Chambres, quotidien, fut publié de février 1828 jusqu’en 1846. Il changea à plusieurs reprises de titre et de propriétaire. Le comte Waleswski l’acheta à l’imprimeur Boulé en avril 1838 pour en faire un organe d’opposition, Le Messager, Journal des principes constitutionnels, qui soutenait les idées d’Adolphe Thiers. En 1840, Thiers redevenant ministre, le journal fut racheté par le gouvernement (Nerval journaliste, 1826-1851, Michel Brix, Études nervaliennes et romantiques, Presses Universitaires de Namur, 1989, p. 192).

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