20 juin [1841], dimanche après-midi, 2 h.
Je suis toujours triste, mon amour, quand vient le moment où tu t’en vas, mais cette fois je suis de plus abasourdie par l’affreux coup que je me suis donné à la tête tout à l’heure. Je sens une douleur sourde dans le front et derrière les yeux insupportable. Du reste ça ne sera rien. Ce genre d’accident n’est rien quand il n’est pas tout, c’est-à-dire quand il ne vous tue pas sur la place. J’espère que lorsque tu viendras je n’y penserai plus et que j’aurai retrouvé ma gaieté ordinaire et extraordinaire. Jour Toto, jour mon petit o. Je vous aime. Le temps est à l’orage mais j’espère que tu auras la précaution de t’abriter s’il pleut, surtout les pieds que tu as percés de meurtrières comme un édifice du Moyen Âge [1].
Je croyais que j’aurais assez pour payer la blanchisseuse demain mais je viens de compter la dépense et avec les 8 F. de Mme Pierceau il ne me restera rien pour la blanchisseuse. Si tu as de l’argent ce soir tu m’en donneras, sinon elle attendra à la semaine prochaine, ce qui ne l’écorchera pas. Je suis très philosophe comme tu sais. Il n’y a qu’une chose au monde qui me tienne au cœur et pour laquelle je ne peux ni faire ni entendre parler de concession c’est mon amour, le reste je m’en bats l’œil et même les deux yeux. Et puis baisez-moi, vous, et tâchez de venir un peu avant minuit, qu’il ne soit pas dit que vous ne venez que pour bâfrer et vous en aller après [2]. Je vous aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 269-270
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette