22 mars [1841], lundi matin, 7 h. ½
Bonjour mon Toto bien-aimé, comment vas-tu ce matin ? Quant à moi j’ai cru que la soirée et que la nuit ne finiraient pas. Dieu merci les voilà passées toutes deux, il ne me reste plus que la matinée qui se tirera tant bien que mal au milieu de tous les tracas de la maison. Ma pendule avance, il n’est encore que sept heures [1]. Jusqu’à midi j’ai le temps de compter les heures, les minutes et les secondes qui me rapprochent de toi. J’ai peur que le Vidal ne vienne pas ou qu’il ne vienne que trop tard, auquel cas ta patience et ton temps seront dépensés et je n’en aurai pas profité pour sortir avec toi. Je crains cette inexactitude du susdit Purgon [2] parce que jamais il n’est venu à l’heure indiquée et que ses heures, à lui, sont de trois à quatre heures. Enfin nous verrons bien, je vais toujours m’apprêter et m’habiller comme si j’étais sûre que tout ira au gré de mes désirs et comme sur des roulettes.
Je voudrais ne pas te parler de ton absence depuis la minute où je t’ai vu hier dans la journée mais cela m’est impossible. Pourquoi donc n’es-tu pas revenu, mon amour ? Si tu savais le chagrin que cela me fait, mon cher adoré, rien ne pourrait t’empêcher de venir auprès de ta pauvre Juju qui t’aime de toute son âme.
BnF, Mss, NAF 16344, f. 267-268
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
22 mars [1841], lundi soir, 8 h. ½
Je n’ai pas encore dînéa, mon adoré. Suzanne est revenue cependant peu de temps aprèsb moi mais de rangement en rangement je suis arrivée à cette heure-ci sans avoir dînéa. Heureusement que j’avais pris une goutte de patience chez la mère Pierceau, ce qui a permis à mon estomac d’attendre sans trop se faire prier [3]. J’avais déjeuné à huit heures du matin au lieu de midi, ce qui est une raison assez naturelle de défaillance. À propos de défaillance, ma porcelaine n’arrive pas, il serait bon qu’on ne l’apportât jamais et que nous en fussions pour nos 10 F. Quellec horreur !!! J’aime mieux croire que c’est la pluie qui est cause du retard, cela m’est moins désagréable.
Pauvre bien-aimé, grâce à toi me voilà encore débarrassée d’un affreux créancier [4], mais ce qui ôte la joie de ce dévouement c’est la crainte que tu ne tombesd malade à la suite de cet excès de travail. Déjà aujourd’hui tu souffrais beaucoup. Mon Dieu, pourvu que ton bain fasse disparaître ces vilains symptômes d’échauffement [5]. Soigne-toi mon adoré, ménage-toi, prends garde à tes chers petits pieds [6] et viens bien vite manger ton raisin [7]. J’enverrai Suzanne demain en chercher d’autre s’il y en a. Je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 269-270
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « dîner ».
b) « à près ».
c) « Quel »
d) « tombe ».