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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 janvier [1841], mercredi matin, 8 h. ¾

Bonjour affreux menteur, bonjour scélérat. Si on vous fouettait chaque fois que vous vous permettez de me mentir, vous auriez les fesses un peu rouges, n’est-ce pas ? J’ai bien envie de vous mettre au régime de la bougie du docteur CHOUIPPE [1] ; il est vrai qu’elle se trouverait fort mal dans votre société car elle est mieux éduquée que vous : ELLE BRÛLE et ne PÈTE pas. Vous, c’est tout le contraire depuis le commencement jusqu’à la fin. Taisez-vous, vieux SÂLE.
OH ! Je viens encore de me mettre en colère, car il est bon que vous sachiez que, pour parvenir à tirer de cette horrible Pauline l’industrie qu’elle contient, il faut la surveiller tout le temps qu’elle est là. Encore n’y parvient-on pas, aussi je me suis levée de bonne heure pour la surprendre en flagrant délit de flânerie et d’ouvrage fait au rebours du sens commun. Mais comme je me suis couchée assez tard je sens que cela me tourne sur le cœur. Je vais tâcher de me rendormir si je peuxa. Vous seriez bien gentil de venir comme le chevalier de la Belle au Bois Dormant me réveiller PAR UN BAISER. Voime, voime, vous n’en êtes pas capable. Taisez-vous alors et laissez-vous aimer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 81-82
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

« peu ».


27 janvier [1841], mercredi soir, 7 h. ½

Je n’aime pas que vous ayez mal à la tête ni ailleursa, mon bien-aimé. Votre santé c’est ma joie, votre amour c’est ma vie, il me les faut tous les deux à la fois pour me composer une existence supportable. Tâchez donc, mon amour, de vous bien porter ce soir et de m’aimer si vous ne voulez pas me voir triste et malheureuse.
Je ne comprends toujours pas pourquoi vous vouliez me cacher les petits livres ? Vous êtes un scélérat bien dissimulé et qu’il faudra que je surveille d’un peu près. Taisez-vous, vieux sagoin-P ; je vous mets votre p auquel vous tenez tant dans saloP, vous en ferez ce que vous voudrez [2]. De la salade si vous l’aimez. J’ai enfin compris la répartition de la recette et de la dépense grâce à vous mais l’attention qu’il m’a fallu apporter pour ce petit travail d’intelligence a suffi pour me donner un affreux mal de tête dont je voudrais bien me débarrasser par un moyen honnête. J’ai des élancements affreux dans la tête. Encore, si cela vous ôtait le vôtre au même moment [3], ce ne serait que plaisir mais vous êtes capable de persister à faire un double emploi de cette stupide chose comme si c’était très amusant.
Je vous aime Toto, je t’adore mon cher bijou.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 83-84
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ailleur ».

Notes

[1Adolphe-Louis Chouippe était enregistré comme docteur-médecin de la Faculté de Paris, demeurant à Paris, rue Sainte-Apolline, n 20, détenteur depuis le 21 novembre 1840 d’un certificat d’un brevet d’invention de cinq ans pour un procédé de fumigation par la bougie pulmonaire et auteur d’un ouvrage distribué gratis : Maladies de poitrine guéries par un traitement nouveau (Bibliothèque royale, Paris, 1840). Le docteur Chouippe, faisant souvent l’objet de moqueries de la part des journalistes, avait une méthode particulière pour soigner les poitrinaires : il allumait autour du malade un très grand nombre de bougies « médicinales ». Voici sa théorie : « Les bougies, en se consumant, répandent une fumée que nous absorbons par les organes respiratoires. Donc, si j’emploie, pour la fabrication de mes bougies, au lieu de cire et de suif, des substances médicales, j’arriverai nécessairement à guérir mes malades par le nez. – Quel pied de nez pour mes confrères ! » (Lettres cochinchinoises sur les Hommes et les choses du jour écrites à l’empereur de la Chine par trois mandarins de première classe, traduites par Albéric Second, Orientaliste du Charivari, Paris, Chez Martinon, 1841, p. 230-232). Il semblerait aussi qu’il ait été cité par la cour de cassation lors d’une séance du 18 juin 1835, sous la présidence de M. Zangiacomi, alors qu’il n’était encore qu’officier de santé, dans une affaire de négligence et de mauvais diagnostic médical ayant abouti à l’amputation d’un malade (Revue médicale française et étrangère, Journal des progrès de la médecine hippocratique, article « Variétés, responsabilité médicale », par MM. Bayle, Cayol, Gibert, Martinet, Tome III, Paris, 1835, p. 137).

[2À cette époque, Juliette s’amuse à agacer Hugo avec des variations orthographiques sur « salop » (voir les lettres du 18 janvier, 29 janvier ou 5 mars 1841).

[3Cela fait quelques jours que Hugo est indisposé et souffre lui aussi de maux de tête.

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