Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1841 > Février > 21

21 février [1841], dimanche matin, 11 h.

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon adoré petit homme. Pour vous faire plaisir cette nuit, espérant que vous reviendriez, j’ai ôté ma pauvre chemise de pièces et de morceaux qui paraissait vous offusquer, mais rien ne peut vous décider à revenir auprès de moi une fois que vous êtes parti. Cette phrase ressemble beaucoup à celle-ci : je ne prends jamais rien à jeun [1], mais vous me tournez tellement l’esprit que je ne sais vraiment plus ce que je dis. Je voulais dire qu’une fois dehors de chez moi vous avez toutes les peines du monde à y revenir. Allons bon, voilà que je viens de renverser l’encrier sur mon drap, quelle NOIRCEUR. Je suis furieuse, cela va me coûter au moins un sou de sel d’oseille, c’est hideux. Quand je vous dis que vous êtes cause de tousa mes malheurs, je ne me trompe pas j’espère. J’ai les mains pleines d’encre, je suis dans un état hideux et je bisque de toutes mes forces. Si vous étiez là, je crois que je vous arracherais les yeux à force de les baiser. Je suis dans une fureur dont rien n’approche. Taisez-vous, je vous dis que vous m’exaspérez.
Claire est à la grand-messe. Nous déjeunerons dès qu’elle sera revenue. Si tu viens nous prendre pour nous mener aux Invalides, tâche que ce ne soit pas si tard qu’à l’ordinaire, que nous ayons le temps de passer une robe [2].
Mon Toto chéri, je te vois si peu que je suis triste et découragée au fond de l’âme quoique je fasse tous mes efforts pour paraître gaie et résignée. Quand donc te verrai-je, mon cher bien-aimé adoré ? Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 167-168
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « tout ».


21 février [1841], dimanche soir, 4 h. ¾

Mon cher petit bijou d’homme, nous étions sous les armes [3] de très bonne heure, espérant que peut-être le beau temps vous engagerait, sinon à nous mener aux Invalides, du moins dans un endroit quelconque où nous aurions pu respirer et jouir d’un rayon de soleil. Notre espoir était peu fondé et nous avons gardé la maison comme toujours. Cependant, dans le cas où votre belle ardeur d’hier au soir vous reprendraita aujourd’hui à la même heure, nous accepterions avec enthousiasme car nous sommes parfaitement habillées et très disposées à profiter de ce que vous daignerez nous offrir, et avec furie encore.
Je ne sais pas, mon cher bien-aimé, si tu remarques combien de fois les mots j’espérais, espérant, dans l’espoir, avec l’espérance, j’espère, j’espérerai, se présententb de fois sous ma plume ? C’est que ma vie toute entière se passe à espérer un bonheur bien rare, celui de te voir. Je sais bien, mon adoré, que tu travaillesc, je sais bien que tu es très occupé, très recherché et très entouré. Mais en conscience, est-ce que tu me donnes tout le temps que tu peux dérober aux choses indispensables ? Pour moi, il me semble que non et c’est ce qui me fait trouver le temps encore plus long, plus lourd, plus insipide et plus insupportable. Je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 169-170
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « reprenait ».
b) « présente ».
c) « travaille ».

Notes

[1Est-ce une référence à une réplique de Cléopâtre à Fœdora dans Un bal de grisettes, vaudeville en un acte de Charles Paul de Kock, représenté pour la première fois à Paris sur le théâtre de la Gaité le 3 décembre 1838 ? Scène II : « Je ne conçois pas qu’on mange entre ses repas… moi je ne prends jamais rien à jeun ! »

[2L’oncle de Juliette, René-Henry Drouet, est hospitalisé aux Invalides, très malade.

[3Se dit à l’origine d’une troupe qui a pris les armes pour faire quelque service ou pour rendre quelque honneur puis, au sens figuré et familier, d’une femme qui emploie tous ses moyens de plaire (Dictionnaire de l’Académie française de 1877).

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne