30 juillet [1836], samedi après-midi, 3 h.
Cher petit ange j’ai été bien absurde ce matin, je t’en demande bien beaucoup pardona. Je suis si avide de toi et de bonheur qu’aussitôt que quelque nuage paraît devoir troublerb ce bonheur si désiré je suis comme une folle furieuse. Je suis méchante comme unec OIE mais cela ne m’empêche pas de t’aimer de toute mon âme et d’être heureuse après tout.
Je pense qu’il y a un an dans ce temps-ci nous étions si heureux et si libres au soleil et dans les champs que je voudrais bien y être encore [1]. Qu’est-ce que je ne donnerais pour cela. Enfin il faut ce qu’ild faut et il faut se résigner à attendre le bonheur pendant onze mois sur un an.
Je me suis décidée à faire découdre les deux matelas à la fois pour être plus tôt débarrassée. La matelassière a trouvé un moyen d’envelopper la laine à merveille. J’ai beaucoup à travailler aujourd’hui pour réparer ces toiles avant de les donner à blanchir. Heureusement ça ne m’empêchera pas de penser à toi et de t’aimer autant que si tu étais là.
Je commence à être autant encombrée de mes lettres que de celles de tes correspondants. J’ai bien envie de les jeter au feu. Il n’en restera plus rien que mon amour, c’est-à-dire ma vie dans ce monde et dans l’autre, ce qui est déjà un très bon reste.
Juliette
BNF, mss, NAF 16327, f. 198-199
Transcription de Nicole Savy
a) « pardons ».
b) « troublé ».
c) « un ».
d) « qui ».
30 juillet [1836], samedi soir, 7 h. ½
C’est très joli ce que je viens de faire là [2]. Je voulais dire qu’il était sept heures et demie à ma pendule, c’est-à-dire qu’il fait nuit partout. J’ai travaillé sans lever le nez depuis que tu es parti. J’ai encore beaucoup à faire avant de me coucher [3].
Et puis vous ne saurez jamais à quel point je vous aime. Vous ne saurez jamais à quel point vous êtes ma vie et ma joie. Car ce ne sera pas moi qui vous l’apprendrai, puisque je ne connais aucune langue qui traduise ce que je sens pour vous.
Mon cher petit bijou d’homme je vais me tenir à quatre pour vous attendre avec patience, après quoi si je n’en viens pas à bout ce ne sera pas ma faute et je n’aurai rien à me reprocher.
Je trouve que le temps s’est beaucoup rafraîchia. Ce soir prenez garde de vous enrhumer, vous êtes sans caleçon, et puis vous travaillezb, vous avez chaud, prenez garde à vous. Je ne veux pas que vous soyez malade. Cela est assez bon pour moi qui suis faible, et qui d’ailleurs aic besoin d’un SERUSIEN [4].
Si je ne vous vois pas comme c’est très probable, je vous donne le bonsoir avec une foule de baisers plus tendres et plus amoureux les uns que les autres. Bonsoir mon petit Toto, dors bien mon cher petit homme. Je t’aime, je pense à toi, je t’adore.
Juliette
BNF, mss, NAF 16327, f. 200-201
Transcription de Nicole Savy
a) « raffraîchi ».
b) « travailler ».
c) « ait ».