4 octobre [1837], mercredi matin, 9 h. ½
Bonjour mon cher adoré. J’ai été arrêtée au moment de t’écrire par l’absence de papier. Vous aviez tout usé hier, cher petit bonhomme. Et puis, croyez-vous que je sois bien contente de ne vous avoir pas vu cette nuit et de ne pas savoir si vous viendrez ce matin ? Ce sera bien y mettre de la mauvaise volonté si vous ne venez pas, car enfin vous êtes à Paris et libre, du moins je le crois. Parce que je vous aime de toute mon âme, mon Toto, il ne faut pas croire que je puisse me passer de vous voir, bien au contraire. Et plus mon amour est grand, et plus votre absence m’est difficile à supporter. Jour mon cher petit pa. Jour mon gros to. Je t’aime, va. Je t’aime bien plus et bien mieux qu’autrefois. Je vis dans toi et pour toi. Mais mon cher petit bien-aimé, est-ce que vraiment tu serais à Auteuil [1] ? Ce serait bien coupable à toi d’avoir abusé de ma confiance pour t’en aller ainsi. Quand je t’ai laissé aller cette nuit j’avais la ferme conviction que tu reviendrais au moins ce matin. Ce serait bien affreux de m’être trompée sur une si bonne et si douce chose. Je t’aime mon adoré. Je t’aime je t’aime je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 233-234
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
4 octobre [1837], mercredi soir, 6 h. ½
Voici ma belle et bonne saison close, sans avoir la certitude de la voir renaître l’année prochaine. Adieu les bonnes nuits, les charmants déjeuners et les ravissants soupers, et tout ce qui s’ensuivait. Maintenant me voilà réduite à la lampe Carcel [2] pour tout coucher de soleil et au feu de ma cheminée pour tout rayon. Trop heureuse quand je pourrai entrevoir un quart d’heure par jour mon bel astre, mon doux et chaud rayon de soleil qui éclaire et réchauffe ma vie. J’avais cru à l’existence d’un automne, mais voilà que sans m’en prévenir vous me jeteza en plein hiver sans vous occuper de la transition. C’est bien dur. Étonnez-vous après cela de me trouver triste et froide. Il y a bien de quoi, j’espère. Aujourd’hui par exemple que vous n’avez fait que paraître et disparaître, croyez-vous que je sois bien lotieb ? Quand bien même je brûlerais toutes les lettres que vous avez écrites, je ne parviendrais pas à allumer le feu de mes chaufferettesc. Je vais donc souffler dans mes doigts jusqu’à ce qu’il vous plaise de m’apporter mon calorifère. Ne tardez pas trop mon bonhomme, je vous en prie. J’étais si loin de m’attendre à ce changement brusque de saison que je suis sans ressources pour lutter contre ses rigueurs. Mon soleil, mon doux soleil, mon beau soleil, mon cher petit soleil, venez souvent me visiter et me réchauffer et je vous adorerai bien.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 235-236
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « jeter ».
b) « lottie ».
c) « chauffrettes ».