Paris, 28 mai 1882, dimanche matin, 9 h.
Cher bien-aimé, je suis entrée deux fois dans ta chambre ce matin sans que ton sommeil en ait été interrompu, ce que voyant, j’ai renoncé à te faire prendre ton Élatine [1], pensant, non sans raison, que le meilleur médicament ne vaut pas le plus léger sommeil. Je crois que c’est aussi ton avis. Aujourd’hui dimanche nous n’avons pas d’enfants à espérer de la journée et peut-être même, hélas ! la Pentecôte demain nous les confisquera-t-il depuis le matin jusqu’au soir. Il est vrai qu’il fait si beau que c’est tout à la fois devoir et plaisir que de les lâcher en plein air. À ce propos le perroquet vagabond est encore dans notre voisinage où il excite parmi les passants et les gamins une grande convoitise [2]. La pauvre bête doit faire assez maigre chère depuis son émancipation. Après cela on ne saurait trop payer le bonheur d’être libre. Qu’il jeûne donc et qu’il soit heureux puisque cela lui plaît et qu’il se gare des griffes des chats et autres comme dit Lesclide. Je te souris et je t’aime à perte de cœur et d’âme.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16403, f. 96
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette