30, samedi, midi ¾
Bonjour, mon cher petit homme. N’avais-je pas trop raison hier de vouloir que vous emportiez tous les présents ? J’espère que vous avez terminé à bien votre négociation. Sans cela, vous seriez un mince diplomate et bon à rien du tout. Je ne sais plus à quel saint m’avouer à présent pour obtenir vos faveurs. Plus je vous aime et moins vous venez, plus je vous désire et plus vous êtes froid et absent. C’est très mal et très vilain à vous. Je ne compte plus maintenant que sur la Madone del Pilar [1] pour me sortir de là et si vous ne me l’apportez pas, vous serez un maladroit et une bête. Papa est bien i [2]. Pauvre âme, c’est bien vrai. Je te voyais travailler cette nuit et je me sentais saisie d’admiration et d’extase devant ta noble et belle figure inspirée. J’aurais voulu pouvoir baiser tes pieds, si je n’avais pas craint de te troubler. Je serais bien heureuse s’il m’était permis de lire à genoux les sublimes choses que vous écriviez hier avec des yeux si doux et un beau front si rayonnant. Je voyais distinctement autour de votre chère petite tête un halo lumineux comme celui que nous regardons ensemble dans le ciel quelquefois. Et je t’adorais dans mon cœur pendant que mes yeux étaient éblouis. Je te dis tout cela comme une bête en mettant la charruea devant les bœufs mais je t’aime bien profondément et bien saintement. Je voudrais te voir, je voudrais te baiser, je voudrais, je voudrais, je voudrais. Jour [3]. À [illis.] [illis.] et Notre-Dame del Pilar. Je la veux, je l’exige ou la MORT. C’est bien le moins, après tousb les SACRIFICES que j’ai fait pour cela.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16322, f. 317-318
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « charue ».
b) « tout ».