Lundi, 1 h. du matin
Mon bien-aimé, je suis bien triste, mais pas maussade, je suis bien inquiète, mais pas jalouse, car je crois à ton amour comme au mien – Cependant, je suis triste car j’ai la certitude de ne pas te voir de cette nuit – Je suis inquiète parce que tantôt, notre Toto [1] était malade, que toi-même, tu es souffrant depuis deux jours et puis cet accident d’hier m’en fait craindre un plus grave, pouvant arriver à toi ou à un des tiens – Cette crainte et l’amour que j’ai pour toi vont me tenir éveillée toute la nuit – Je ne serai tranquille et heureuse que lorsque je te tiendrai dans mes bras –
À demain donc, mon pauvre bien-aimé – dors bien si rien de mauvais ne t’a touché – Prends courage et pense à moi, si tu as du chagrin – dis-toi que si quelque chose peut augmenter l’amour que j’ai pour toi dans cette vie, c’est le malheur –
À toi mon âme, à toi mon souffle à toi ma vie tout entièrea.
Juliette
Pauvre ami, ce que tu avais prévu pour les omnibus est arrivé bien plus que tu ne le crois – Figure-toi qu’il y avait une telle affluence d’Élyséens que chaque omnibus qui arrivait était envahib de force avant la station – Esclave de la promesse que je t’avais faitec de revenir en omnibus, j’ai eu la patience d’attendre dix minutes – Mais ce qui est le plus beau, c’est d’avoir eu le courage de conquérir ma place d’entre tous ces fétides et [brutauxd ?] bourgeois – Enfin une fois parquée, je suis arrivée sans encombres à [11 h. ?] chez moi –
Voilà pour le voyage – Quante à ce qui s’est passé chez Mme K. [2], c’est tout à fait uniforme et plat. Comme hier, comme avant-hier, comme tous les jours précédents. L’incident le plus piquant est celui-ci. J’ai gagné 2 francs 5 sous au loto.
Je n’ai pas pu t’envoyer la bague ce soir parce que le fils K. n’était pas là pour écrire. J’ai laissé le brouillon à la mère en recommandantf de le lui faire faire demain dans la journée –
[illis.] il est une heure et demie du matin. J’ai griffonnég longtemps, trop longtemps pour tes pauvres yeux – et pas assez pour notre amour à tous les deux car nous nous aimons sans cesse et sans satiété. Oh ! moi je t’aime.
BnF, Mss, NAF 16322, f. 235-236
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « toute entière ».
b) « envahie ».
c) « fait ».
d) « [bruteaux ?] ».
e) « quand ».
f) « reccommandant ».
g) « griffonnée ».