Lundi, 6 h. du soir [1] [2]
[Lundi 3 novembre 1834 ?]
Après t’avoir quittéa hier, j’ai été un peu saucéeb, mais beaucoup moins que les fois précédentes, ce qui n’a pas empêché que mon mal de tête n’ait pris un accroissement absurde car j’ai été obligée de me coucher presque sans dîner. J’ai souffert toute la nuit. Cependant, en pensant à toi, j’ai pris mon courage à deux mains et je me suis levée pour recevoir et donner mon linge que je ne veux pas emporter sale à Paris. J’ai fait aussi le triage de tes lettres et des miennes. J’ai retrouvéc les papiers concernant le loyer et la location des meubles. J’ai apprêtéd toutes mes affaires, ainsi que cellese de Claire pour demain matin. J’ai raccommodéf et repassé beaucoup de choses. Enfin, j’ai achevé de copire [3] ton carnet et ce n’est pas peu de chose que d’en être venue à bout à cette heure-ci, 6 h. du soir. Depuis que je me suis levée, je ne me suis aucunement débarbouillée. J’ai l’air d’une souillon du 1er ordre. Mais cela m’est égal si tu m’aimes. Quantg à moi, cela va s’en dire que je t’aime. Comme ceci – ou comme cela – en Peau d’âne, en reine, en marquise, en pauvre femme, je t’aime, je t’aime, je t’aime.
Mon amour à moi grandit et fleurit sous le soleil brûlant comme sous la pluie et le vent. On voit bien que c’est une plante du ciel, rien de la terre n’y fait – Je t’aime – À demain.
Je vais dîner à votre santé, je vais dormir toute seule, je boude. Je voudrais être déjà où tu es à Paris. À demain, donc. Il faut que je me lève de fièrement bonne heure et le froid et peut-être la pluie – ah ! bahh ! ça m’est égal si j’arrive à temps et que tu m’aimes comme je t’aime. Je te baise. Après dîner si je peux, je te copierai tes vers. À propos, n’oubliez pas de m’apporter les miens, je ne badine pas, je vous en préviens.
BnF, Mss, NAF 16322, f. 215-216
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « quittée ».
b) « saucé ».
c) « retrouvée ».
d) « aprêté ».
e) « ceux ».
f) « raccomodée ».
g) « quand ».
h) « a bas ».