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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 juin 1837

12 juin [1837], lundi, 10 h. ½ du matin.

En faisant la promesse de revenir cette nuit, tu [illis.] le triste devoir que tu avais à remplir ce matin pour ce pauvre Fontaney. Voici deux cérémonies lugubres en bien peu de temps et quoique ce malheur ne nous touche pas de près, je me sens le cœur serré en y pensant [1].
Mon Dieu que je voudrais que ta publication fût terminée [2]. D’abord parce qu’il y a bien des merveilles que j’ignore et que je connaîtrais, ensuite parce que peut-être te sentiras-tu le besoin de reprendre haleine et je profiterais de cette petite halte pour me réparer un peu, car je suis vraiment dans un état hideux de délabrement et de découragement et pour peu que tu continues ce petit système de travaux forcés, c’est moi qui tomberai sur les dents c’est-à-dire sur le nez pour ne plus me relever. Je vous aurais écrit une seconde lettre hier, mon cher adoré, si vous n’aviez pas eu le bon esprit de venir. Vous devriez toujours faire comme cela et ne pas me laisser le temps de détacher mes yeux des vôtres. Ce serait bien plus gentil et plus amusant que de vous écrire des bêtises car mon amour dans ma plume c’est de l’or pur dans un réchaud de rétameur de casseroles. Je ne sais pas m’en servir. Je ferais bien mieux de le laisser toujours dans le fond de mon cœur plutôt que de le sortir sous une forme aussi niaise et aussi absurde.
Jour mon To. Jour mon gros To. Aime-moi par justice, par pitié et par reconnaissance. Je t’aime tant, moi. Je t’ai si bien donné tout mon être que ce serait bien affreux si tu ne me donnais pas un peu d’amour pour tout cela. Aime-moi, mon Toto, aime-moi pour que je vive, pour que je respire et pour que je te sourie. Je t’attends avec bien de l’impatience mais avec bien de l’amour aussi. Oh ! je t’aime, je t’aime, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 289-290
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


12 juin [1837], lundi soir, 8 h. ¼

Il paraît, mon très beau petit homme, que chaque fois que vous promettez de ne pas venir, vous tenez toujours. Il n’y a que lorsque vous dites que vous allez venir que vous manquez de parole. C’est charmant ! Dans une heure tout au plus, je me coucherai, non pas pour dormir, mais pour être plus à mon aise pour vous attendre. J’ai bien peur de vous attendre longtemps maintenant que vous avez fait acte de présence. Cher adoré petit homme, je ne veux pas être injuste même en riant. Vous êtes bien bon et bien charmant de trouver parmi toute cette besogne un moment à donner à votre pauvre petite Jujulina. Je le reconnais et je me prosterne le front sur vos petites beuttes. Vous étiez joliment farauda aujourd’hui. Diable, diable, c’est tout au plus si ça m’arrange ce chic-làb. Et puis des portières arabes [3], et puis et puis tous les bonheurs et toutes les richesses qui fondent sous mes yeux quoiqu’il ne fasse pas encore excessivement chaud. Tenez, décidément, vous êtes mon Toto et je vous aime de toute mon âme. Je vais tâcher de n’être pas trop triste. Soir pa, soir man. Venez donc un peu me surprendre cette nuit, vous me ferez plaisir. Je vous attends.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 291-292
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « faro ».
b) « chique là »

Notes

[1Le 11 juin au matin est mort Antoine Fontaney (1803-1837). Il avait fréquenté les cénacles de Nodier et de Hugo et s’était enfui à l’étranger pour vivre son amour avec Gabrielle Dorval, fille de la célèbre actrice qui s’opposait à leur mariage. Vivant dans une grande pauvreté et revenus à Paris, les deux amants devaient mourir du même mal, la phtisie, à quelques semaines d’intervalle.

[2Hugo s’apprête à faire publier Les Voix intérieures qui sortiront le 26 juin.

[3Juliette fait vraisemblablement allusion à l’achat d’une décoration nouvelle pour l’appartement place Royale. De Bruxelles où Hugo supervisera la vente de son mobilier à distance, en juin 1852, il écrit en effet à Adèle Hugo : « Vends toutes les tapisseries, excepté les deux gothiques de la petite salle à manger (appliquées au mur). A-t-on mis dans le catalogue que la portière arabe qui sert de plafond vient de la casbah d’Alger ? » (5 juin 1852, lettre publiée par Massin, CFL, t. VIII, p. 1008). 

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