20 mai [1837], samedi matin, 11 h. ½
Convenez, mon cher petit homme, que je suis bien méchante et bien maussade et aimez-moi après car moi je vous aime au milieu de toutes mes fureurs. Je vous aime de l’amour le plus tendre sinona le plus aimable. Je vous aime de toute mon âme. Vous ne savez pas, mon cher petit Toto, combien je regrette mes emportements, combien je m’en veux de ne pouvoir pas les réprimer. Quand je crois que je vous ai déplu sérieusement je suis inconsolable. Il faut absolument que je dompte cette mauvaise nature qui nous attriste tous les deux. D’ailleurs, je suis trop laide, trop malade et trop malheureuse après un de ces maudits accès. Je ne le ferai plus jamais, mon Toto, je vous le promets. La bonne m’a apporté un oranger tout à l’heure qu’elle a été chercher au quai aux fleurs [1] ce matin. Je n’ai pas voulu la désobliger car il est clair qu’elle croit bien faire. Tu le lui rendras en argent et je prendrai [2] que c’est de toi qu’il me vient, comme tout ce qui sent bon dans ma vie. Comme tout ce qui reposeb mes pauvres yeux attristés. Comme tout ce que j’ai de bon, de doux, d’agréable et d’heureux dans ma vie. Tout me vient de toi car toi tu es tout cela pour moi. Jour mon Toto. Je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 189-190
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « si non ».
b) « reposes ».
20 mai [1837], samedi, midi ½
Je suis bien repentante, mon Toto. Me pardonnez-vous ? Je vous aime mon Victor bien-aimé. M’aimes-tu ? Je ne pense qu’à toi mon cher petit homme. Ne m’oublie pas, toi, avec les Noblet [3], les Plessis [4] et les Léontines [5] du diable, car je suis sûre que vous êtes à la répétition ce matin. Moi pendant ce temps-là je m’applique à être la plus tourmentée et la plus malheureuse des femmes, et je dois avouer que mes efforts sont couronnés du plus grand succès. Je souffre de toutes mes forces. Je suis laide comme un Q qui ne serait pas dans l’alphabet. Si vous ne venez pas très prochainement SOUPER avec moi, je suis capable de me suicider. Je veux absolument réparer ma faute. Je veux vous donner à souper à 4 h. du matin, bien manger bien boire et être très GEAIE. Viens mon cher petit homme. J’ai besoin de voir lever le plus vite possible l’interdiction dont tu as frappé mon joli petit [repos ? / repas ?] de la nuit. Je t’aime, moi. Je suis malheureuse quand je t’ai déplu. Je t’aime. Il fait bien beau aujourd’hui. Quand viendrez-vous ? C’est égal. Je vais être bien bonne et bien patiente en pensant à vous car je vous aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 191-192
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
20 mai [1837], samedi soir, 7 h. ½
Comment ai-je pu t’affliger mon cher bien-aimé ? Toi si bon, toi si dévoué, toi si noble et si charmant. Je ne le sais vraiment pas. Il faut que j’aie le diable au corps ou la folie dans la tête pour me porter à cette stupide injustice. Pardonne-moi avec ta bonté et ton indulgence habituelles. Souris-moi avec tes doux yeux et tes ravissantes lèvres afin que je croie au pardon tout entier et sans arrière-pensée amère. Et puis enfin dévoue-toi pour moi en cette occasion puisque tu ne te lasses pas de le faire à tous les instants de ta vie depuis trois ans surtout [6]. C’est moi qui t’en prie. C’est moi qui trouverai de la joie et de la douceur à te voir redoubler ta tâche déjà si difficile et si lourde à porter. Oui. Cette fois j’aurai de la joie sans amertume et je te condamne de gaieté de cœur à te tuer pour me donner un BOUQUET DE FÊTE [7]. Maintenant, cher petit NÈGRE [8], vous devez être content de votre TYRANNIE. Il me semble que je m’en acquitte assez bien et que vous n’avez rien à désirer à moins que vous ne vouliez que je vous assomme sur la place, ce qui serait plus expéditif. Jour. Vous voyez bien que je suis trégée et que je me donne un tas de mal pour faire sourire mes yeux rouges et ma bouche violette. Jour un petit o. Jour un gros to. Jour je vous aime mon Victor. Le jour où vous ne le croirez plus, je me tuerai. Je vous aime de toute mon âme et de toutes mes forces. Je t’aime mon pauvre amour.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 193-194
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
20 mai [1837], samedi soir, 8 h. ½
J’aurais dû vous donner une grêle de giflesa tantôt. Comme je ne l’ai pas fait je m’en venge par un déluge de lettres. C’est une manière comme une autre de vous punir et je l’emploie avec certitude. Maintenant que je vous ai assez puni, je vous demanderai d’être assez gentil pour venir déjeuner avec moi demain ; par déjeuner, je m’entends. Car enfin quoi queb vous en disiez, c’est ma fête, et si on ne chôme pas le Saint, ma foi c’est pas la peine. Et puis je veux vous rappeler que j’attends de vous une bonne petite lettre afin que j’aie quelque chose de votre âme à baiser et à respirer. J’y compte et si je ne la recevais pas je crois que je ne m’en consolerais pas dans ce monde-ci ni dans l’autre. Jour mon Toto. Jour mon petit chéri. J’ai bien bobo à la tête. Ça tient peut-être à ce que j’ai très froid aux pieds ou à autre chose que la pudeur m’empêche de nommer, si j’ose m’exprimer ainsi. Et puis je l’avoue, je trouve que nous sommes bêtes comme trente-six académiciens et qu’il ne faudrait rien moins qu’un petit voyage pour nous donner beaucoup d’esprit. Quand [9] dites-vous ? Ah ! Si Juju pouvait et si Toto voulait [10] ce serait bien facile. Mais….. mais ET CORNIPEDUM PULSUc [11] etc., etc.
Je vous disais donc mon Toto que cette lettre n’était que pour vous vexer et pour vous HUMILIER. Maintenant je veux mettre le comble à mes forfaits en vous asphyxiantd de baisers, en vous étouffant de caresses. C’EST TI ÇA QU’EST TRAÎTRE, hein ? Ça vous apprendra.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 195-196
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « giffles ».
b) « quoique ».
c) « PULSUS ».
d) « asphixiant ».