5 mai [1837], vendredi après-midi, 2 h. ½
Je me dépêche de vous écrire une bonne grosse lettre, mon cher petit bijou d’homme, pour ne pas avoir besoin d’emprunter du papier à Mme Pierceau qui n’en a guèrea. Je suis malade comme un chien. Je ne sais pas d’où ça vient, car je suis bien heureuse et bien joyeuse. Vous m’avez fait d’ailleurs un petit portrait si charmant et si ressemblant que cela ferait rire un MORT DE VENISE [1]. Jour. Un petit o. Jour. Si vous étiez tout à fait comme je voudrais que vous fussiez, vous auriez déjà un pied dans la diligence et l’autre sur l’échelle qui conduit à l’impériale. Et les yeux fixés sur mon pantalon de voyage. Seule époque où il me soit permis de porter CULOTTE. C’est peut-être à cause de cela que je la désire tant. Mais vous êtes trop avare et trop bête pour vous laisser aller tout de bon à la tentation de courir le pays dans la compagnie de votre pauvre Juju. Cependant il y a de bonnes auberges où l’on héberge les marquis grecs [et] les barons allemands, où nous tiendrions bien notre place, je vous assure comme du vinaigre [2]. Pourquoi faut-il que je ne sois pas assez riche du tout pour vous enlever ce soir à la barbe de tout Paris et du préfet de peaulisse comme y Serre du douzième arrondissement [3], comme un arracheur de dents. QUEL MALHEURb ! Je suis très [vexée ?], on ne peut pas plus. Si je suis très bête et pas du tout amusante, prenez-vous-en à mon mal de tête stupide. Car pour le cœur il fait toujours son devoir et n’a rien à faire à ça. Ainsi vous êtes prévenu que je suis bête à manger des ASPERGES. Ma responsabilité est à couvert, je n’ai plus rien à me reprocher. Jour je vous aime de toutes mes forces. Jour mon petit oto. Sommes-nous des guernouilles [4] ? Jour je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 129-130
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « guerre ».
b) Ces deux mots, tracés d’une écriture plus grosse, occupent seuls toute la ligne.