18 juin 1858

Guernesey, 18 juin 1858, vendredi matin, 8 h.

Bonjour, mon bon petit tyran, bonjour mon cher petit docteur sans faculté de médecine, bonjour. Je n’ai ouvert ma fenêtre qu’à six heures ce matin, êtes-vous content, monsieur ? Ça n’est pas tout rose ni tout brouillard que d’être votre voisine, mon voisin, et je m’en aperçois que de reste dès que je fais mine de m’émanciper un peu sous prétexte de ne pas crever dans mon alcôve faute d’un peu d’air frais à respirer. Du reste, je reconnais que vous avez raison et je me soumets avec cette pensée qu’on ne meurt qu’une fois et que le plus tôt n’est pas le plus mauvais. En attendant, et par excès contraire, vous gardez votre casserole hermétiquement fermée et vous cuisez là dedans à petit soleil, sans qu’il soit permis à une FOUAIBLE PHÂME de vous en faire l’observation, telle est votre justice distributive et l’égalité, comme vous l’entendez, ô démagogue, des droits politiques et diaphoiriques [1] de la femme ! Et vous voulez qu’on vous croie ? Plus souvent ! Je ne te respecte pas à ce point que je vous aime sans demander la permission et carrément, et toujours, et encore avec le cœur et avec l’âme à votre nez et à votre barbe. Telle est ma force ! Quant à vous, bisquez si vous voulez, cela m’est bien égal, je ne vous en aimerai que davantage ; c’est un genre que j’ai comme ça. À preuve que je vous baise à tu et à toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16379, f. 129
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette