25 février [1845], mardi matin, 11 h. ½
Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, mon adoré, comment vas-tu ce matin ? Tu as dû bien peu dormir, mon Dieu, car il était près de 3 h. du m[atin] quand tu t’es en allé et tu dois être déjà à l’Académie [1] ou bien près d’y être. Le plus fatiganta de ton travail est fait. Il reste maintenant le plus fastidieux à faire : lire aux Académiciens, corriger les épreuves, etc. Dans cet etc. je ne comprends pas la lecture au public, car il doit être fort doux, au contraire, d’être admiré et applaudi par tout un monde d’élitesb et par les femmes les plus huppées de Paris. Cette partie de votre discours n’est pénible que pour moi qui voudrais être seule à vous admirer comme je suis seule à vous adorer. Mais il faut savoir se résigner et faire bonne mine à mauvais jeu et vous verrez que jeudi [2] je ne serai pas une de vos moins ferventes admiratrices.
Je te dirai, chemin faisant, et comme la servante du curé, que ton second discours, pour ne ressembler en rien au premier [3], est aussi admirable que l’autre et fera peut-être encore plein d’effet. Riez si vous voulez, mon maître, de mon opinion, mais je suis sûre d’avoir raison.
Tu as vu, mon pauvre adoré, à quelle affreuse migraine j’étais en proie cette nuit. Ce matin je suis encore comme une pauvre hébétée. Il est vraiment triste d’être aussi souvent en proie à cette abrutissante infirmité que je le suis. Pourvu que je ne l’aie pas jeudi, cette migraine, c’est tout ce que je demande. En attendant, je t’aime plus que de toutes mes forces et de tout mon cœur. Je t’aime par-dessus les bords.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16358, f. 121-122
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « fatiguant ».
b) « d’élite ».
25 février [1845], mardi après-midi, 4 h.
Je t’attends, mon cher bien-aimé, avec tous mes rafraîchissantsa à la main. Je sens que tu dois être épuisé. Je voudrais être à jeudi soir [4] et savoir que tu vas enfin te reposer. Je te dirai, mon cher amour adoré, que, moi qui ne fais rien, je trouve moyen d’être courbaturée et d’avoir un affreux mal de tête qui me rend stupide.
J’en suis honteuse, mais qu’y faire ? La saison n’est pas encore venue de me promener dans MON JARDIN. Je l’attends avec impatience pour savoir si cela m’empêchera d’avoir d’aussi fréquents et d’aussi violents maux de tête. J’ai donné aujourd’hui au menuisier et au peintre un acompte. Au premier de 100 francs, ainsi que tu me l’avais dit, au second de 80 francs. Quant à celui-ci, je ne sais pas si ton architecte trouvera à lui diminuer son mémoire, mais il me paraît exorbitant. Je me suis fait expliquerb cependant, pièce en main, tout ce qui était porté sur le susdit mémoire et je n’y ai pas vu de double emploi. Il n’y aurait donc que sur les prix enfin, de compte fait. Il se monte à 138 francs ! C’est inimaginable. Il y a 19 francs, valeur estimation en argent, comme ils appellent ça, qui me paraît plus qu’exagéré. J’en ai déjà fait la remarque au peintre. Il faut absolument que tu tâches de faire vérifier tous ces mémoires par M. Robelinc ou tout autre. Celui-ci en particulier me paraît un peu vif. Je crois que ce petit travail de vérification et d’épluchage et la désagréable surprise du total n’ont pas peu contribué à me redonner mal à la tête. Il ne faudra rien moins qu’un bon baiser bien long et bien tendre de toi pour me guérir. Je t’attends avec amour et avec impatience.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16358, f. 123-124
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « mes raffraichissants ».
b) « expliqué ».
c) « Roblin ».