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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 janvier [1845], vendredi soir, 6 h.

Cher petit bien-aimé adoré, je te pardonne encore aujourd’hui mais ce sera tout. À partir de demain, je te promets d’être méchante et très méchante et tu sais si je suis femme à tenir parole.
Cher adoré, je comprends, de reste, l’affluence de visiteurs par le prodigieux effet de ton admirable discours d’hier [1]. Je comprends que tu ne puissesa pas, que tu ne doivesb pas te soustraire à cet enthousiasme. Aussi je suis patiente, je suis résignée. Je t’attends et je t’aime dans mon coin, espérant que tu me reviendras bientôt et que tu me dédommageras de tousc les sacrifices que je fais à la gloire.
J’ai reçu une lettre de Mme Luthereau probablement au sujet de la fête d’hier. Tu verras cela tout à l’heure, car je te verrai tout à l’heure, n’est-ce pas, mon bien-aimé ? En même temps, je t’apprendrai la bonne nouvelle que voici et que je te dis d’avance selon ma louable habitude de vouloir croire que c’est à toi que je parle : le propriétaire nouveau m’a envoyé ce soir une décharge de réparation des papiers lorsque je m’en irai de chez lui. Il n’a pas fait mention des plafonds, ce qui aurait mieux valu encore, mais il faut savoir se contenter. Le vieillard est malade et c’est à grand peine et malgré tous ceux qui l’entouraientd qu’il m’a fait cette décharge, ne voulant rien remettre au lendemain, a-t-il dit. Du reste, c’est encore très heureux et ce sera dans son temps un grand allègement que de n’avoir pas de papier à mettre nulle part. Tu vois, mon petit bien-aimé, que le bon et le mauvais côté de ce logis se montre alternativement. La portière, qui est bien la plus jacasse des portières, m’a assurée que lorsqu’il sera nettoyéf et meublé, ce sera un paradis. Elle prétend qu’autrefois, du temps de M. XXX chose machin, député, c’était charmant. Ce qui l’est au suprême degré, c’est que te voilà.
Déjà parti mon adoré ! mon bonheur, ma joie, mon amour. Je ne veux pas être ingrate envers toi, et si petit qu’ait été ce moment de bonheur, il me suffira pour éclairer et pour réjouir toute cette longue soirée d’attente.
Tâche de venir, nonobstant Bernard. Je t’attendrai, mon Victor chéri, et tu sais que je ne pourrai pas bien dormir si je ne t’ai pas vu, et si je ne t’ai pas embrassé, et caressé, et adoré des lèvres, des yeux et de l’âme. Je compte sur toi, mon petit Toto chéri bien aimé. Si tu peux penser à m’apporter, c’est-à-dire à demander qu’on rapporte les journaux de chez M. Foucher [2], tu me feras plaisir. En attendant, je t’admire, je t’aime et je te baise depuis la tête jusqu’au [illis.].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 49-50
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu ne puisse ».
b) « tu ne doive ».
c) « de de tous ».
d) « l’entourraient ».
e) « m’a assurée ».
f) « netoyé ».


17 janvier [1845], vendredi soir, 8 [h.] ¼

Je suis bien heureuse de t’avoir vu, mon Toto chéri, mais je le serais encore davantage si j’étais sûre de te voir ce soir. Je crains que Bernard ne te retienne bien longtemps, que tu ne sois trop fatigué et que tu ne puissesa pas venir du tout. Cependant, tu viens toujours malgré cela. Aussi je t’attendrai, n’importe à quelle heure.
Cher petit homme affairé, tu oublies que tu veux faire faire cette couronne et ce chiffre pour ton roi de Danemarkb [3]. Cependant, si tu veux envoyer ton livre [4] à propos, il n’y a pas de temps à perdre. Je serai forcée encore de te tourmenter pour ces tapisseries et pour les ouvriers que je ne saurai pas diriger et qui viennent lundi. Je prévois pour toi tant de fatigue, tant d’impatience, tant de dérangement et tant d’ennui que je voudrais pour tout au monde avoir doublé ce hideux cap du déménagement pour ne plus t’en parler. Je crois que j’enverrai mes quatre cadres sculptés, faits ou non faitsc. On verra ce qu’on en pourra tirer.
Je veux me dépêcher pour lire les journaux. J’ai promis à Eulalie de lui lire ton discours. Il faut que je tienne ma promesse. Je ne demande pas mieux du reste. Je vous prie de le croire.
Demain je me lèverai de très bonne heure. Il faut que je commence à [déménager  ?]d, que je serre toutes mes boîtes, toutes mes poteries, toutes mes affaires dans la crainte des tapissiers. Je suis payée pour connaître leur probité. Voime, voime, merci, j’aime mieux ne rien laisser traîner tous ces temps-ci. Je vais être une Juju tourbillon de poussière, une Juju grognon, une Juju ébouriffée, une Juju guenille, une Juju souillon, une Juju atroce enfin. Mais dessous cela ne m’empêchera pas d’être une Juju gracieuse, une Juju aimable, une Juju charmante, une Juju soignée et une Juju propre. Ceci est une manière d’avis au lecteur dont vous tirerez le profit que vous voudrez. En attendant, je vous aime et je vous attends. Si vous ne venez pas, je serai très malheureuse et je ne dormirai pas. Tu viendras, n’est-ce pas, mon petit Toto ? Tu viendras parce que tu es bon, parce que tu es gentil, parce que tu m’aimes et surtout parce que tu te sais aimé comme jamais homme n’a été aimé et ne le sera jamais. Je baise ta jolie petite bouche encore, encore, encore, toujours, toujours, toujours.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 51-52
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu ne puisse ».
b) « Danemarck ».
c) « fait ou non fais ».
d) « [déméger  ?] ».

Notes

[1Le 16 janvier, Victor Hugo a prononcé un discours en réponse au discours de réception de Saint-Marc Girardin à l’Académie française. Celui-ci avait été élu aux élections du 8 février 1844 au fauteuil de Campenon.

[2S’agit-il de Paul-Henri Foucher ?

[3« Entrelacement de deux ou de plusieurs lettres initiales des noms d’une personne » (Larousse). On apprend plus loin, dans la lettre du 5 mai 1845 (BnF, Mss, NAF 16359, f. 133-134), que Victor Hugo veut faire broder des mouchoirs par Eulalie. Grâce à un petit croquis effectué par Juliette (BnF, Mss, NAF 16359, f 275-276), on imagine le chiffre brodé, surmonté d’une couronne. Ces mouchoirs ont-ils réellement été offerts au roi du Danemark ou bien l’allusion de Juliette n’est-elle qu’un clin d’œil à la couronne brodée ?

[4Dans une lettre du 19 février 1845, Juliette évoque « le volume du roi Oscar » (BnF, Mss, NAF 16358, f. 99-100). Confond-elle le roi du Danemark Christian VII et le roi Oscar Ier, roi de la Norvège et de la Suède ?

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