Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1848 > Novembre > 29

Mercredi matin, 29 novembre [1848], 9 h. ½ [1]

Bonjour, mon Victor adoré, bonjour mon doux, mon ravissant, mon toujours plus aimé Victor, bonjour, je t’aime. Je t’ai tourmenté bien malgré moi hier, mon pauvre ange, et je crois à présent que loin de le regretter, j’en suis bien aise parce que cela m’a montré ta bonté ineffable et divine, ce qui me transporte toujours d’admiration et de bonheur. Cependant comme je sens combien ce doit être pénible et gênant pour ton travail d’être distrait par les idées saugrenues qui me passent par l’esprit, je tâcherai d’être plus raisonnable aujourd’hui. Je tâcherai même de ne pas te parler de Marie-Jeanne [2], sublime effort. Avant toute chose je ne veux pas me rendre insupportable à tes yeux. Je serai donc très gentille aujourd’hui mon Victor. C’est le moins que je puisse être pour te récompenser de la patience, de la douceur, et de la tendresse que tu m’as montrées hier.
Comment vas-tu, mon Victor chéri ? Moi je suis enragée car j’ai le verre de ma lampe cassé encore une fois. Je ne sais plus que devenir avec cette maudite lampe. Je vais l’envoyer tout à l’heure chez le lampiste mais je doute fort qu’il réussisse à faire de cette élégante machine autre chose qu’une affreuse bombe puante et infernale. En attendant elle nous coûte un prix fou, ce qui est le plus malheureux. Baise-moi mon Victor chéri et aime-moi. Je saurai bien te le rendre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 369-370
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette


29 novembre [1848], mercredi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon petit homme, bonjour. J’ai toutes sortes d’envies de vous grogner, mais je ne veux pas perdre ma mauvaise humeur sans profit. Je la garde pour une meilleure occasion. Seulement, je vous demanderai si vous avez souscrit pour moi aux rhumatismes, aux CORYZAa et autres rhumes plus ou moins de cerveau que vous ne voulez pas me donner vos deux couvertures ? Mais aussi quelle imprudence à moi d’avoir lâché les miennes avant de tenir les vôtres. Il faut vraiment que je sois archi-absurdeb pour m’être fiée à vous. Quand je pense que, non content de m’avoir soutiréc mes deux couvertures, vous aviez formé l’infâme projet de me flouer mes draps. Cela m’en donne la chair de poule rien que d’y penser. Et qu’est-ce qui m’en revient de tout ça si ce n’est la honte et le chagrin de n’être plus aimée et de me voir mettre au rancart comme une vieille chiffonnière hors de service. Tout cela n’est rien moins que gai et ne motive que trop ma mauvaise humeur ce matin. Si j’osais même, j’entrerais dans une sainte fureur dont il vous serait fort difficile de vous sortir entier. Avec tout cela vous vous moquez de moi et vous ne voulez pas déranger ma portière, scrupule fort honorable et qui vous vaudra bien des voix aux élections prochaines. Voime, voime, crois cela et boisd de l’eau mon bon représentant, et tes vingt-cinq francs n’iront pas de travers. En attendant, prends garde que je ne découvre le vrai pot aux roses Chaumontel, je ne te dis que cela.

Juliette

Leeds, BC MS 19c, Drouet/1848/111
Transcription de Joëlle Roubine

a) « CORIZA ».
b) « achie absurde ».
c) « soustiré ».
d) « boit ».


29 novembre [1848], mercredi après-midi, [2  ?] h. ½

Je ne t’en fais pas un reproche, mon doux adoré, mais plus nous allons en avant et moins tu trouves le temps de me voir. Tu saisis avec un empressement, que je ne m’explique que trop, tous les prétextes de ne pas venir, et tu négliges toutes les occasions de me voir. Tu vas jusqu’à te faire je ne sais quel scrupule de ne pas revenir le soir. Autrefois, tu demandais un passe-partout dans la première maison venue au risque de faire faire des conjectures singulières sur nous. Tu n’as qu’à comparer ta prudence d’aujourd’hui avec tes imprudences d’autrefois et tu verras si je peux me faire illusion sur l’état de ton cœur. Du reste, j’ai le plus grand tort d’insister sur une chose que tu sais aussi bien que moi et qui ne dépend pas de ta volonté ni de la mienne. Tout ce qui arrive devait arriver et je subis le sort commun de toutes les femmes qui ont été aimées. Au lieu de marcher comme toi dans mon amour pour arriver plus vite à l’indifférence, je me suis arrêtée en chemin à la plus belle station : l’adoration. C’est ce qui fait que nous sommesa aujourd’hui si loin l’un de l’autre. J’en étais là de ma complainte lorsque vous êtes arrivé, mon cher petit porc gonflé comme un ballon porté sur l’aile des vents. Une autre fois, vous aurez la bonté de rester à la porte ou de garder votre artillerie pour le prochain état de siège. Avec tout cela, je continue d’être la plus mystifiée des Juju et je vous adore avec acharnement.

Juliette

Leeds, BC MS 19c, Drouet/1848/112
Transcription de Joëlle Roubine

a) « somme ».


29 novembre [1848], mercredi soir, 4 h.

Je pense à toi mon âme, je t’aime, je t’attends, je t’adore. Voici déjà la nuit. Déjà ? La journée m’a cependant parue mortellement longue depuis l’heure à laquelle tu as la douce habitude de venir presque tous les jours. J’espère que la nuit aidant, tu vas pouvoir venir tout à l’heure m’embrasser. Si je me trompe, je serai plus que bien triste car il y a déjà longtemps que j’ai dépassé le degré de la tristesse ordinaire. Il ne faudrait rien moins que l’apparition de ta ravissante figure pour me faire oublier l’ennui de cette journée noire et pluvieuse. Mon Toto bien aimé, tu es ma vie. Je sais que tu travailles et que tu es assailli d’affaires de toutes sortes, aussi je ne t’en veux pas. Je suis triste parce que cela ne peut pas être autrement puisque ma joie est de te voir. Seulement si je pouvais espérer que tu peux penser à moi à travers ton travail, il me semble que je serais soulagéea de l’affreux poids qui me pèse sur le cœur et que tous les raisonnements du monde ne parviennent pas à soulever.
Mon Victor chéri, mon amour, ma joie, mon bien-aimé, ma vie, mon âme je te vois, je t’adore, je te baise en pensée et en désirs. Je t’attends de toutes les forces de mon amour. Tâche de venir tout de suite, tu me rendras bien heureuse, de bien triste que je suis depuis ce matin.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 371-372
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « je serais soulagé ».

Notes

[1Aucune lettre datée du 17 octobre au 29 novembre 1848 n’est conservée à la BnF et à la MVH.

[2Allusion probable à une reprise du mélodrame d’Adolphe d’Ennery, Marie-Jeanne ou la femme du peuple, créé à la Porte-Saint-Martin en 1845, avec Marie Dorval dans le rôle-titre.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne