15 avril [1846], mercredi soir, 11 h.
Je finis seulement à présent, mon bien-aimé adoré, de poser les sangsues à ma fille et un cataplasme qu’elle doit garder 2 h. pour faire saigner. C’est à l’épigastre que je les lui ai mises au nombre de 12. M. Triger pense que cela suffira pour lui enlever la fièvre qu’elle avait très fort ce soir. Du reste, il viendra demain matin de bonne heure. Il pense jusqu’à présent que ce n’est qu’une inflammation de l’estomac. Dieu veuille qu’il en soit ainsi [1]. Quelques instants avant qu’il ne vînt, ma fille, que j’avais fait lever pour qu’on fît son lit, venait de se trouver mal tout à fait. Tout le temps qu’elle a eu les sangsues il m’a fallu lutter avec le vinaigre contre les faiblesses spasmodiques qu’elle ressentait. Cela ne m’effraye pas autrement, parce que je sais qu’elle ne mange pas depuis trois semaines. Il n’a fallu rien moins que la perspective d’une saignée ou de sangsues à poser ce soir pour me faire refuser le bonheur d’être avec toi une partie de la soirée.
Minuit ¼
Je ne veux pas me coucher sans t’avoir remercié du fond du cœur de tout le courage et de toute la confiance que tu me donnes dans un mot et dans un sourire. Tu es mon bien-aimé que j’adore, tu es ma providence à laquelle je me confie entièrement. Je vais aller tout à l’heure auprès de ma fille pour lui ôter son cataplasme et faire coucher Suzanne. J’espère qu’il n’arrivera rien de fâcheux cette nuit et que cette pauvre enfant va bien dormir. J’ai donné l’ordre à Suzanne de venir m’avertir au moindre petit événement, mais j’espère que la nuit sera bonne car tu me l’as promis. Tâche de venir demain de bonne heure, mon doux aimé, il me semble que cela me porte bonheur pour toute la journée. En attendant, je t’aime, je te remercie, et je t’aime avec tout ce que le bon Dieu m’a donné de cœur, d’âme, et d’intelligence. Je t’aime de tous les amours à la fois. Je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16362, f. 381-382
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette