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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 mars 1846

14 mars [1846], samedi matin, 9 h. ½ 

Bonjour mon Toto adoré, bonjour. Du fond de ma migraine je t’envoie les plus douces pensées que j’aie dans la tête ; les plus tendres caresses que j’aie dans le cœur. Ne fais pas attention à tout ce qui va suivre car il est probable que ce sera une longue et douloureuse déploration sur ce que je souffre. Figure-toi que voulant tâcher de me soulager tout à l’heure, j’ai pris l’eau-de-vie camphrée pour l’esprit de fourmi et que ce n’est qu’après m’être frottée que je me suis aperçue de mon erreur. Je ne sais pas encore quel en sera le résultat. Ce que je sais pour le moment c’est que j’infecte et que je suis comme une femme grise. Voilà pour le commencement de la journée, maintenant nous verrons comment je la continuerai.
Cher petit Toto, quel ennui ce doit être pour toi de lire ce fatras de plaintes et de gémissements sur un seul ton. Dans ces moments-là je devrais m’abstenir de t’écrire plus de ces deux mots : Je t’aime. Le reste n’étant que de continuelles et blaireuses redites sur une infirmité qui ne finira qu’avec moi. Mais toi de ton côté comment vas-tu ? Comment va ton pauvre nez ? Il me semble que tu mouchais moins hier ? Tu seras bientôt débarrassé de ton rhume et cela pour toute la saison. Que ne puis-je en dire autant de ma migraine ? Avec quelle joie je lui verrais prendre son congé ! Tu vois, mon bien-aimé, que je ne t’avais pas trompé en te disant que j’étais incapable de parler d’autre chose que de mon mal. Je suis un être absurde mais je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 263-264
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


14 mars [1846], samedi soir, 5 h. ½ 

Tu me punis de n’avoir pas pu profiter de ta bonne proposition de ce matin en ne venant pas ce tantôt, comme si c’était juste. Est-ce que je pouvais deviner entre trente millions d’improbabilités, que tu viendrais me chercher pour sortir avant le déjeuner ? Et pouvais-je improviser une sortie faite comme je l’étais ? Si vous êtes de bonne foi vous conviendrez que non et si vous m’aimez pour deux liards vous viendrez tout de suite.
Je crois que ma fameuse migraine se résout en rhume de cerveau. Voilà près d’un quart d’heure que j’éternue et il me semble que je suis soulagée d’autant. Ordinairement ce sont les rhumes de cerveau qui donnent mal à la tête. Dans ce cas-ci ce serait tout le contraire. Du reste je ne me révolterai pas contre cette singularité rhumatismale car j’en ai bien assez comme ça de mal de tête, merci. Cela ne m’a pas empêchée pourtant de me rabrouer la tête pendant deux heures. Il me semble que, loin d’augmenter mon mal, ce qui n’était guère possible, cela l’a soulagé. J’espère que ce soir j’en serai délivrée tout à fait et que je pourrai tenir tête à toutes vos taquineries : s’ennuie-t-elle beaucoup dans sa cage ? Mange-t-elle de tout ? Est-ce qu’il faudra lui donner du MÂCHIS [1] ? Est-ce que ……Toto, Toto, Toto, tu me fais l’effet du déménagement de Mme Triger, je sens quelque chose qui me tire, et qui me remonte tout le long du bras et ailleurs. Prends garde que je ne te saute dessus et que je te griffe, te morde, te batte, te baise et te dévore. J’en suis très capable d’abord.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 265-266
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1« Elle », c’est Cocotte, sa perruche qui l’assomme de ses cris incessants.

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