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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 janvier [1846], midi

Bonjour mon petit Toto chéri, bonjour mon plus qu’aimé, bonjour mon adoré petit Toto. Je suis en retard de beaucoup et je me dépêche pour rattraper le temps perdu. Quand je dis le temps perdu, c’est une manière de parler car je n’ai pas perdu une minute depuis que je suis levée. Mais tu sais que je suis MADAME DE MILLE AFFAIRES. Il n’y a pas de plus occupé que les gens qui ne font rien et je suis de ce nombre-là. Tout à l’heure je ferai ton eau [1] et puis après je me débarbouillerai. Je te fais penser, dans le cas où tu l’oublierais que c’est demain le 15. Il faudra aussi que tu me donnes de l’argent pour la blanchisseuse et dans trois jours le mois de Suzanne. Tu n’as pas plus tôt fini d’un côté que c’est à recommencer d’un autre, mon cher petit bien-aimé c’est la vie, mais cela n’en est pas plus drôle pour toi, pauvre adoré qui porte le fardeau à toi tout seul. Dans mon énumération, j’ai encore oublié de te dire les reconnaissances. Comme je sais que tu veux être prévenu, je te l’écris d’avance. Je voudrais plus que jamais gagner à la loterie. Ce serait un petit commencement de fortune qui te donnerait le temps de respirer un peu. Hélas ! Je crains bien de n’avoir même pas la plus petite vache sans cornes et pas le moindre nègre de quelque couleur que ce soit [2]. Il est vrai que tu auras l’honneur d’avoir fait deux bonnes actions. C’est toujours ça, mais c’est bien CHESSE. Baise-moi je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 43-44
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


14 janvier [1846], mercredi soir, 6 h. 

Je voudrais bien te voir mon cher aimé. Est ce que cette vilaine séance, dans laquelle vous vous complaisez trop, n’est pas prèsa de finir ? Pour ma part je trouve que vous prolongez le bonheur des tribunes un peu trop longtemps. Encore si j’en prenais ma part je pourrais peut-être trouver la chose moins scandaleusement longue. Mais comme il n’en est rien je suis furieuse de tout mon cœur. Pour me dédommager j’ai eu la visite de la mère Sauvageot. Elle venait me prier de te supplier d’accueillir avec quelque bienveillance un volume qu’on doit t’envoyer ce soir ou demain de la part d’un Ostrogothb… quelconque, lequel Ostrogoth cumule le métier d’employé de l’illustre Rambuteau et celui de gribouilleur, ça n’est pas incompatible à ce qu’il paraît. Ce même ostrogoth toujours noff aurait la manie de concourir pour un prix académique quelconque. Ce que voyant, le Sauvageot mâle qui est son compagnon de Grattoire, gratouère, gratoâre, gratuouaire, comme l’indique le dictionnaire. Henri Monnier aurait dépêché sa femelle pour m’attendrir au sujet de cet ostrogonoff et par contre te subtiliser un enthousiasme de 12 ou 15 [00 F  ? ]. La méthode n’est peut être pas très bien imaginée, attendu que toi, JE et MOI, sommes peu sensibles de notre nature POLITIQUE ET LITTÉRAIRE. Aussi je m’en fiiiche comme de deux œufs et je te conseille d’en faire autant. Voilà, mon adoré à quel régime je suis quand vous m’abandonnez. Si vous croyez que c’est là ce qui rend une femme heureuse, vous vous flouez du tout au tout et moi par-dessus le marché. Il y a des moments où je jetterais le manche après la cognée dans les jambes de la providence pour lui apprendre à me faire le bonheur si petit et si mince. Heureusement le respect pour cette illustre dame me [retient  ?] et puis encore la crainte qu’elle ne me le supprime tout à fait, mon pauvre petit Bonheur. Aussi, je m’aplatisª devant elle et je lèche la sacrée poussière de ses pieds sur vos hideuses beauttes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 45-46
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « prête ».
b) « Ostrogo ». Même chose plus loin.
c) « m’applatis ».

Notes

[1Victor Hugo avait des problèmes ophtalmologiques et venait souvent baigner ses yeux chez Juliette.

[2Dans sa lettre du 9 janvier, Juliette mentionne des statuettes de vache sans corne et de nègre vues dans une loterie.

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