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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 janvier [1846], vendredi matin, 9 h. ½

Bonjour mon doux aimé, bonjour mon Victor adoré, bonjour je t’aime. Comment vas-tu ce matin mon Toto chéri ? Es tu moins fatigué et moins ennuyé qu’hier ? Si je pouvais te soulager en quoi que ce soit, mon Toto, je serais la plus heureuse des femmes et ma grande fille aussi. Si tu savais avec quelle admiration, quel respect et quelle tendresse elle prononce ton nom. Avec quelle reconnaissance et quelle confiance elle s’appuie sur toi, tu ne douterais pas du bonheur que tu lui ferais en lui donnant l’occasion de faire quelque chose pour ton service. Aussi mon Toto apporte tes cartes et elle fera des enveloppes et elle mettra les adresses dessus et moi je les cachèterai ; hum quel effort et tu n’auras plus qu’à les remettre à la compagnie [Bivau  ?]. Seulement il faudrait les apporter aujourd’hui si tu peux. Dans tous les cas je serai toujours là, moi. Prête à tout faire de mon mieux, trop heureuse si je réussis. L’année est à peine commencée que déjà je voudrais être plus vieille de huit jours, c’est-à-dire de quinze jours pour me réjouir du succès de ce pauvre Charlot. À partir de dimanche les jours vont nous paraître à tous mortellement longs jusqu’au retour de ce cher petit homme. J’espère beaucoup et surtout je désire de toute mon âme qu’il soit reçu. Je voudrais bien que ce fût au tour de ma péronnelle [1] et être aussi sûre de ses chances que de celles de ce pauvre Charlot. Enfin il faudra bien que cela aboutisse. À force de persévérance nous lasserons peut être le sort. Espérons. Quand tu es parti cette nuit j’ai lu ma petite lettre et je l’ai baisée. Depuis je l’ai mise à coucher avec moi [2]. Ce matin mon premier soin en m’éveillant a été de la relire et de la baiser. Ce ne sera pas la dernière pensée et la dernière caresse que je lui donnerai. Aujourd’hui c’est bien le moins que je me venge de votre absence sur elle en l’accablant de tendresse et de baisers. Je suis dans mon droit et j’en use. Vous étiez dans le vôtre aussi en oubliant mes gribouillis cette nuit et vous en avez usé, vous avez bien fait.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 3-4
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


2 janvier [1846], vendredi soir, 10 h. ¾

Je t’écris de mon lit, mon adoré, où je suis depuis un moment car je suis si émue et si troublée qu’il me serait impossible de rester debout. Pour une pauvre fois que je sors, je suis bien malencontreuse, il faut l’avouer. Par un phénomène que je ne m’explique pas, ou que je n’explique sans preuve, le feu a pris dans mon cabinet au séchoir qui était près du tuyau, lequel tuyau n’est jamais plus que tiède dans les plus grands feux. Heureusement la bonne est venue au moment où le séchoir était en braise, le métier brûlant ainsi que le mur et le côté de mon armoire dont l’acajou est tout décollé. Elle a transporté le séchoir dans le vestibule, puis elle est revenue s’assurer si le feu n’était pas ailleurs. Il n’y avait rien et le tuyau n’était pas chaud, ce qui me ferait croire, malgré ses dénégations, qu’elle se sera approchée de mon miroir qui était au-dessus du séchoir pour se voir et qu’elle aura mis le feu à une serviette sans s’en apercevoir. Voilà la seule explication possible en apparence. Depuis que je suis rentrée on a fait un grand feu exprès pour se rendre compte s’il y avait une fuite dans le tuyau ou dans la cloison où s’adosse la cheminée. Le mur continue d’être glacé et le tuyau tiède. Il est triste de penser que pour une pauvre fois que je sors il m’arrive un commencement d’incendie dont les suites pouvaient être terribles pour tout le monde. Et d’un autre côté je dois remercier le bon Dieu à genoux d’avoir permis que cette fille se soit aperçue de la chose à temps pour y porter remède. J’en suis quitte pour une affreuse émotion, pour quatre serviettes et le torchon à la tisane brûlé ainsi que le séchoir et puis au milieu de tout cela, je t’adore. Je te désire de toutes mes forces et je te baise du fond du cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 5-6
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1C’est ainsi que Juliette surnomme sa fille Claire, qui se prépare pour son examen d’institutrice.

[2Juliette a reçu la veille la lettre d’amour rituelle que Hugo lui adresse pour le nouvel an.

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