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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 février [1848], vendredi matin, 9 h.

Bonjour, mon petit homme, bonjour, vous, bonjour, toi, comment que ça va ce matin ? Avez-vous bien polké cette nuit ? Je vous ai vu de loin avec Chose [1] mais je n’ai pas pu vous rejoindre emportée que j’étais par la redowa [2]. J’espérais vous retrouver ce matin à la maison dorée mais inutilement et nous avons mangéa les huîtres et SABLÉ LE CHAMPAGNE sans vous. Voime, voime, fort spirituel mais je vous arracherai les yeux s’il y a un seul mot de vrai dans tout ça. Mon humeur folâtre ne va pas plus loin que ce papier ; du reste je suis horriblement jalouse et encore plus féroce. Donc vous n’avez qu’à vous bien tenir.
Cher adoré, tu as bien fait de te coucher de bonne heure, si tu t’es couché, tu ferais toujours bien de ne pas travailler aussi avant dans la nuit dans l’intérêt de tes pauvres yeux adorés et de ta chère santé. Aussi, loin d’insister pour te retenir, je te vois partir avec une sorte de joie en pensant que tu vas te reposer. Ne prends pas en mauvaise part ni en dérision ce que je te dis-là car c’est du bel et bon amour, le meilleur et le plus généreux que j’aie en mon cœur. C’est ainsi que je veux que tu le comprennes ou bien je me mettrai en travers la porte et je te forcerai à me lire tout le reste de Jean Tréjean [3] d’une seule haleine et à passer toutes les nuits en conversation…… criminelles avec moi. C’est que j’en suis fort capable vous le savez bien. Taisez-vous et dormez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 43-44
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « nous avons manger ».


4 février [1848], vendredi après-midi, 1 h.

Les trente six infortunes de Pierrot [4] ne sont rien à côté de mes tribulations domestiques et de domestique. Depuis hier je suis en proie aux allées et venues d’un affreux crétin ivre déguisé en plombier soûla. Enfin le voilà parti pour ne plus revenir je l’espère. Mais à ce charmant personnage succède ma stupide Suzanne qui ne sait que s’[ingénier  ?] pour me faire enrager et pour ruiner la maison. Depuis ce matin je suis comme un rat empoisonné et j’enverrais de bon cœur la maison au diable avec tout ce qu’elle contient maintenant que je me suis soulagée la conscience en te racontant mes MALHEURS. Je reprends mon aplomb et je reviens à mon idée fixe qui est de vous aimer comme un chien. Cette occupation me plaît et je n’en veux pas changer contre n’importe quoi. C’est une vocation que j’ai comme cela et que rien ne peut empêcher. Vous me tromperiez que je vous tuerais et que je vous aimerais toujours. Tu cesserais de m’aimer que je mourraisb mais que je t’aimerais jusqu’à mon dernier soupir. Voilà on n’est pas maître de ça.
Comme je voudrais être avec toi sur un petit chemin sans pierres ou avec des pierres dans ce moment-ci avec trois ou quatre mois de VELOURSc devant nous. Comme je me ficherais du reste et de tout le monde et comme je serais la plus heureuse des Juju, quel bonheur !!! Malheureusement je suis toute seule dans mon coin et je n’ai pour perspective que le mur de mon jardin ce qui n’est pas très drôle. Mais je t’adore et je t’espère, cela me suffit.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 45-46
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « sou ».
b) « je mourerais ».
c) « VELOUR ».

Notes

[1À élucider.

[2Valse à trois temps. (Littré)

[3Premier titre donné au manuscrit des Misères, futurs Misérables.

[4Juliette Drouet paraphrase ici approximativement le titre d’une pantomime de Deburau, Les Vingt-six infortunes de Pierrot, créée sur la scène du Théâtre des Funambules en 1833.

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