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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 novembre [1847], mardi au matin 8 h.

Bonjour, mon Toto, bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, à tu et à toi, bonjour, je vous adore. Je ne suis pas émerveillée de votre visite d’hier au soir et je vous prie de ne pas me traiter cette nuit avec la même brièveté. C’est bien assez que sous prétexte de travail vous me museliez toute la journée sans encore anticiper sur mes nuits. Je vous préviens que je ne veux plus le souffrir et que je m’insurge pour de bon. D’aborda vous savez quelle est mon opinion sur vos trop courtes apparitions, c’est que vous avez UNE AUTRE INTRIGUE. Mais j’y mettrai bon ordre. Soyez tranquille, je laisse pousser mes ongles et je les affile tout exprès pour vous les promener en arabesques sur votre joli groin. Ce n’est pas tout plaisir que d’avoir à soi tout seul une vieille Juju enragée qui prétend être usée jusqu’au dernier morceau. Il n’y a pas de plaisir sans peigne [1] vous le savez mieux que personne aussi je vous regarde comme averti et plus qu’avertib. Méfie-toi Toto. Mon pauvre petit Toto tiens bien ton gibus [2] et tout ce qui s’ensuit car je t’aime à OUTRANCE et je veux être aimée de même.

Juliette

MVH, α 7992
Transcription de Nicole Savy

a) « D’abor ».
b) « avertie et plus qu’avertie ».


2 novembre [1847], mardi après-midi, 3 h.

Je n’ai vraiment pas de chance. Pour une pauvre fois que tu as la bonne intention de me faire sortir hors de mon tour je ne peux pas en profiter, c’est agaçant. Et je ne sais qui me tient d’être la plus méchante des Jujus. Malheureusement cela ne m’avancerait pas à grand chose. Je me résigne à être très vexée et très mystifiée, ce qui est une assez mince compensation au bonheur que tu venais m’offrir tout à l’heure. J’espère que tu vas revenir et je tâche de me consoler avec cette douce pensée. En attendant, j’attends, ce qui est une médiocre et bien fastidieuse occupation. Il est vrai que je peux vous préparer tout prêt à EMPORTER le vieux pont et la ville antédiluvienne [3]. Ia, ia, Monsire Matame cède bédide ogubazion il a son sarme [4]. Je ne vois pas pourquoi je ne m’y exercerais pas avec accompagnement de pied-de-nez, d’ailes de pigeon, de figues et de timbalea. Il est évident que ce sujet harmonieux ne pourrait qu’y gagner comme à la loterie du Petit-Bourg [5] et autre Monville très Malaunayb [6]. Vous voyez que je suis très joviale de ma nature, et je vous conseille d’en profiter pour m’offrir des tas d’Hindousc et encore plus de Japonais [7].

Juliette

MVH, α 7993
Transcription de Nicole Savy

a) « timballe ».
b) « Malaunai »
c) « indous ».

Notes

[1Probable jeu de mots sur le proverbe bien connu, « Il n’y a pas de plaisir sans peine. »

[2Haut-de-forme qui s’aplatit et se déplie.

[3Il doit s’agir de dessins, comme le Vieux Pont de Lucerne, de 1839.

[4Juliette Drouet imite l’accent allemand.

[5En 1843 avait été créée à Evry-Petit-Bourg une colonie pénitentiaire et agricole pour jeunes délinquants. Une loterie organisée pour la financer avait donné lieu à des abus.

[6Une loterie des artistes au profit des victimes de Monville et Malaunay (deux villages de la vallée du Cailly en Seine-Maritime) avait eu lieu en 1845, suite à la tornade dévastatrice du 19 août 1845 qui avait fait soixante-dix morts, et cent-vingt-neuf blessés. Des arbres et toitures avaient été arrachés, et trois filatures détruites. On avait retrouvé des débris trente kilomètres plus loin, à Auffay.

[7Juliette Drouet désigne le genre des dessins que Hugo compose à l’époque.

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