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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 août [1841], lundi après-midi, 2 h 

Vous êtes allé à la répétition [1], mon amour, ou à la commission des auteurs [2] car vous avez tourné le coin opposé à votre demeure [3] et cela dans un moment où la pluie menaçait [4] ? Je vous en reconnais le droit, surtout si vous ne me trahissez pas et si vous m’êtes bien fidèle de corps, de cœur et de pensée. Moi je reste toujours là « à voir tourner mon ombre sur mes pieds » [5]. Cependant je ne me plains pas aujourd’hui car j’ai eu ma goutte de rosée, pour continuer la métaphore, et je suis heureuse ; pour me complétera, il me faudrait mon Pécopin et ma BAULDOUR mais je n’ose pas y compter pour aujourd’hui [6].
N’oubliez pas, mon amour, que je veux aller à la première représentation de Ruy Blas à la Porte Saint-Martin et tâchez de m’avoir une loge pour Mme Krafft et sa sœur et deux places pour Mme Triger. Ces places seraient d’autant plus opportunes que tu ne seras plus en mesure d’en demander pour les représentations suivantes puisque tu es tout à fait en délicatesse avec ces arracheurs de dents [7]. Cependant je ne veux pas te tourmenter plus que de raison, il va sans dire que c’est toujours si tu peux.
Je vais écrire à Madame Krafft aujourd’hui et à ma fille. J’écrirai plus tard à ma couturière si tu n’as pas d’argent pour la payer demain. Quel est le légume que les femmes préfèrent [8] ? Quel est l’âge du capitaine Lambert ? Quelle différence y a-t-il entre un pain de sucre et un voyageur [9] ? Quelle différence y a-t-il entre Toto et une bête ? – Il n’y en a pas. – Taisez-vous, misérable, vous mériteriez des giffes. Tâchez de venir très tôt si vous ne voulez pas que je vous déteste autant que je vous aime. Tâchez aussi de m’apporter bien vite la fin de mon histoire afin que ça fasse mon compte [10]. Et puis baisez-moi et aimez-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 131-132
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « completter ».

Notes

[1Ruy Blas est à la Porte-Saint-Martin à partir du 11 août 1841, avec Frédérick-Lemaître et Raucourt, pour de nombreuses représentations.

[2Depuis 1830, Victor Hugo est membre de la Société des auteurs dramatiques, également appelée commission des auteurs.

[3Hugo habite place Royale, rebaptisée en 1800 place des Vosges, dans l’hôtel de Rohan-Guéménée.

[4Juliette observe toujours Hugo, lorsqu’il la quitte, jusqu’à ce qu’il ait tourné le coin de la rue, en général pour vérifier qu’il aille bien dans la bonne direction.

[5Citation du poème écrit pour Juliette par Victor Hugo, qu’elle emploie de temps à autre : « La pauvre fleur disait au papillon céleste : / (…) Mais non, tu vas trop loin ! - Parmi des fleurs sans nombre / Vous fuyez, / Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre / À mes pieds. / Tu fuis, puis tu reviens ; puis tu t’en vas encore / Luire ailleurs. / Aussi me trouves-tu toujours à chaque aurore / Toute en pleurs ! / Oh ! pour que notre amour coule des jours fidèles, / Ô mon roi, / Prends comme moi racine, ou donne-moi des ailes / Comme à toi ! (…) » (Les Chants du Crépuscule, XVII, 1835).

[6Hugo est en pleine rédaction de la lettre XXI du Rhin, « Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour ».

[7Les frères Cogniard. qui ont repris la direction du théâtre de la Porte Saint-Martin en 1841 après la faillite d’Harel, entretiennent avec Hugo des relations tumultueuses. La presse satirique de l’époque, comme Le Charivari, s’en fait parfois l’écho.

[8Selon Hugo, la réponse est : les épinards, ce que Juliette qualifie de « calembour libidineux ».

[9La veille, Juliette se plaignait déjà des mêmes devinettes de Victor Hugo. La plaisanterie sur le capitaine Lambert, principalement, revient presque systématiquement aux mois de juillet, août et septembre.

[10Plaisanterie récurrente de Juliette sur les homonymes de « compte ».

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