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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 septembre [1847], vendredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher petit bougon, bonjour, mon ravissant petit grognon, bonjour, je ne rirai plus jamais avec vous, tu te fâches. Mâtin de chien, il ne fait pas bon vous mettre des A en forme de pota sur le nez. Eh ! bien on ne vous en mettra plus, tiens ce sera bien fait, attrapéa ! En attendant, je regarde passer les dessins et les coromandels [1] avec une mélancolique résignation. Un jour viendra peut-être où j’en aurai plus que vous et où je vous dirai pour tout [COPIN  ?] : CHACUN GARDE QU’EST-CE QU’IL A. Maxime généreuse et peu appauvrissante. Ce sera votre tour de regarder piteusement dans la rivière les petits bateaux qui vont sur l’eau, pendant que je passerai triomphante devant les bric-à-brac des quais.
Malheureusement je n’en suis pas encore là. Dans ce moment-ci je suis en proie à la colique la plus atroce qui ait jamais gargouillé dans un ventre de Juju. Je n’ai pas dormi de la nuit, aussi ce matin je ferais peur au diable tant je suis hideuse. Je souffre, je souffre, je souffre. Je m’interrompsb à chaque instant pour laisser passer des bouffées de douleur qui me coupent la respiration. Je suis une vieille patatraque et vous avez bien raison de ne me rien donner. Voime, voime, je vous approuve. Tâchez cependant de venir de bonne heure tantôt si vous ne voulez pas que je crève à la peine. Je sens que votre présence m’est plus nécessaire que jamais et qu’il n’y a qu’elle qui puisse me guérir de tous mes maux. C’est bien bien vrai mon cher petit bien-aimé, ta douce vue c’est la santé, la vie, la joie et le bonheur.

Juliette

MVH, α 9002
Transcription de Nicole Savy

a) « attrappé ».
b) « Je m’interrompts ».


17 septembre [1847], vendredi, midi ½

Je ne sais plus par quel bout me plaindre, mon Toto, car je souffre de tous les côtés à la fois. Je sais bien que c’est l’époque de souffrir mais je trouve que cette fois la dose est doublée. Je t’attends avec la confiance qu’aussitôt que tu seras là je ne souffrirai plus. Dépêche-toi donc de venir, mon cher petit homme, pour que je sois guérie tout de suite. Il me semble qu’en te disant cela tu m’entends et je crois que cela me soulage.
Ton petit Toto va toujours de mieux en mieux ? Vous voilà tous tranquilles de ce côté-là. Maintenant c’est l’affaire des côtelettesa, des filets de bœuf et autres poulets du même genre, et qui ne lui manqueront pas, Dieu merci. Je voudrais être aussi sûre de vous avoir, je ne serais pas aussi impatiente et aussi découragée que je le suis parfois en vous attendant. Jour Toto, jour mon cher petit O, je vous aime mais je suis bien blaireuse. Dans ce moment-ci je suis un peu plus stupide que d’habitude. Il me semble que ma pauvre cervelle est descendue dans mes talons. Je ne sais plus ce que je dis, ce que je fais. Ma tête et mon cœur tournentb et sont inverses. Je t’aime et je ne trouve pas les mots pour te le dire. À la place d’une expression d’amour j’écris un geignement douloureux. Je veux dire je t’aime et ma plume griffouille je souffre. Cette cacophonie m’agace au dernier point et je me suis insupportable à moi-même. Hâte-toi de venir me tirer de là mon Victor adoré tu me rendras bien service.

Juliette

MVH, α 9003
Transcription de Nicole Savy

a) « côtellettes ».
b) « tourne ».

Notes

[1Allusion aux laques chinoises de Coromandel.

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