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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 février 1843

28 février [1843], mardi-gras, 9 h. ¾ du matin

Il y a aujourd’hui 10 ans jour pour jour, mon adoré, que nous touchions au plus grand bonheur de notre vie, du moins pour ce qui me concerne. Cette pensée, mon Toto, et l’espoir que tu viendrais peut-être, en l’honneur de ce jour, déjeuner avec moi, m’a tenue éveillée toute la nuit presque et c’est à peine si j’ai dormi deux heures par petits intervalles de quartsa d’heure. Je ne me plains pas de ça puisque j’ai pu mieux penser à toi. Ce dont je me plains, mon cher amour, c’est que tu ne sois pas venu au moins ce matin puisque tu n’avais pas de répétition. Est-ce que j’ai tort de t’en vouloir, mon Toto ? Alors je me repens et je te demande pardon. J’aime mieux croire que j’ai des torts envers toi que de penser que tu en as envers notre amour.
Comment vont tes chers beaux yeux, comment va toute ta ravissante et adorée petite personne ? Tâche de ne pas sortir avec tes bottes percées car on dit qu’il pleut à verse dans ce moment-ci et avec ta disposition au mal de gorge, ce serait très pernicieux pour toi. Ménage-toi, mon pauvre ange, pour l’assaut que tu vas donner dans huit jours et surtout pour tous ceux que tu aimes, dont je suis la première. Je vais envoyer chez Dabat tout à l’heure avec force recommandations pour qu’il te rapporte tes bottes demain. J’en doute cependant à cause du fameux Mardi-gras que tout le monde ne passe pas aussi sobrement que nous, surtout ce monde-là. Enfin ce ne sera pas ma faute si tu ne les as pas demain, je t’en réponds.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Je vous aime comme il y a dix ans et plus encore, si le plus était possible. Où en êtes-vous de votre amour, vous, mon cher petit bien-aimé ? J’espérais que vous seriez venu me le dire cette nuit. Hélas !!!!!b

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 189-190
Transcription de Olivia Paploray, assistée de Florence Naugrette
[Pouchain]

a) « quart »
b) Les quatre points d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.


28 février [1843], mardi-gras, 1 h. après-midi

Je suis encore au lit, mon amour, sans que cela ait un grand sel pour moi et uniquement parce que j’y ai plus chaud pour attendre le retour de ma servarde qui est allée porter tes bottes et voir le bœuf-gras.
Je viens d’écrire à mon beau-frère et à ma sœur pour les remercier de leur aimable envoi. J’ai préparé mes comptes pour ce soir et enfin j’ai lu plusieurs journaux avec lesquels j’étais en retard depuis trois jours. J’ai lu l’article de rétractation du hideux Charles Maurice [1] que je n’avais pas vu dans l’examen rapide que j’avais fait de ces deux ignobles journaux [2]. On voit qu’il a une venette [3] atroce et il fait la grimace du diable forcé de louer saint Michel qui va l’écraser sous son pied. Je suis contente que cette misérable canaille sente enfin à qui ses injures s’adressent et ce qu’il peut lui en cuire pour l’avenir. Joly n’a jamais mieux fait, et n’a même peut-être fait que cela de bien. Mais je l’en remercie, pour ma part.
Bonjour Toto, bonjour mon cher petit Toto. Vous n’êtes seulement pas venu une minute ce matin en l’honneur de notre anniversaire. Si je pouvais être fâchée contre vous je le serais, surtout en cette occasion, car c’est presque une mauvaise action que cette indifférence pour le retour du jour qui a décidé de toute notre vie. Je sais que vous êtes très occupé, mon Toto, c’est pour cela que je ne veux pas vous attribuer tout le mal que me fait votre absence aujourd’hui. Mais vous, mon Toto, est-ce que vous ne vous faites pas quelques reproches de n’avoir pas su trouver une minute sur vingt-quatre heures pour venir me dire que vous vous souveniez d’il y a dix ans et pour me dire que vous m’aimiez encore un peu ? Je vous pardonne mon Toto et je vous aime toute seule et tristement, pas comme il y a dix ans car nous étions deux à cette ravissante besogne.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 191-192
Transcription de Olivia Paploray, assistée de Florence Naugrette
[Pouchain]

Notes

[1Chroniqueur théâtral du Courrier des théâtres, particulièrement fielleux et corrompu.

[2Le National et Le Constitutionnel.

[3Peur, inquiétude semblable à celle du gibier poursuivi par les veneurs.

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