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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 mai 1836

18 mai [1836], mercredi soir, 7 h. 5 m.

Voici déjà l’heure à laquelle tu dois venir passée, mon cher adoré. Encore si j’avais l’espoir que tu viendras souper avec moi, je supporterais plus courageusement la soirée éternelle d’aujourd’hui. Mais je n’en suis pas sûre et même je n’ose pas faire mettre le poulet à la broche. Cependant, comme à la rigueur il serait possible que tu fusses assez bien avisé pour me faire cette joie, je m’en vais le faire rôtir, ce susdit POULET.
Depuis que tu m’as quitté, j’ai eu la visite de mes nouveaux propriétaires qui me paraissent d’assez stupides commerçants (comme ils s’appellent) et puis j’ai beaucoup travaillé. J’ai dévidé 30 écheveaux de soie et puis j’ai fait commencer le bas pour être plus tôt prête à faire tes petites chaussettes. À propos de bas, mon pied va très bien. J’ai mis un bas par-dessus et je ne m’en sens pas plus mal. Ceci est pour suppléera au pantalon. Si on donnait Angelo ce soir, je suis très en état d’y aller.
Je le dis comme je le sens. Je t’aime, toi, je t’aime, tu es mon amour, tu es ma vie, tu es ma joie, tu es mon enfant, tu es mon maître, tu es mon Dieu, tu es mon amant bien-aimé, ce qui est bien plus que TOUT. À bientôt, tâche. Je vais te faire une bonne petite cuisine.

Juju

BnF, Mss, NAF 16327, f. 63-64
Transcription d’Isabelle Korda assistée de Florence Naugrette

a) « supléer ».


18 mai [1836], mercredi soir, 8 h. ¼.

Cher petit homme, je n’ai pas encore dînéa parce que j’ai travaillé et fait travaillerb jusqu’à 7 h ½. Depuis, j’ai épluché moi-même les asperges et le cresson pour ce soir dans le cas où tu viendrais manger ton petit souper. Malheureusement je crains que tous ces apprêts ne soient autant de désappointements mais c’est égal, je n’aurai rien à me reprocher. J’aurai fait comme ces gens qui font mettre la soupe sur la table pour faire venir le convié. Tu seras le bienvenuc et le plus attendu des conviés depuis qu’il existe des conviés si tu viens ce soir.
Mon pied va toujours très bien et c’est par déférence pour votre conseil que je le mets sur une chaise. J’ai bu beaucoup de tisaned et il y en a encore beaucoup parce que j’espérais que vous viendriez trinquer avec moi. Mais je ne vous en tiens pas quitte et vous connaissez le fameux proverbe qui s’applique AU VIN [1] s’applique encore mieux à la tisane.
Que je vous aime, allez. Si cela continue, je ne sais pas ce que vous fereze de tout cet amour-là. Vous n’avez pas le cœur assez vaste pour le contenir et quantf à moi, il y a longtemps qu’il me déborde. À preuve qu’aujourd’hui j’ai baiség votre petite lettre sur toutes les lettres, points et virgules et que j’ai encore des millions de baisers sur les lèvres pour quand vous viendrez sans compter toush ceux que je laisse tomber partout où vous avez [illis.]

J.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 65-66
Transcription d’Isabelle Korda assistée de Florence Naugrette

a) « diner ».
b) « travaillé ».
c) « bien venu ».
d) « tisanne ».
e) « ferai ».
f) « quand ».
g) « baisée ».
h) « tout ».


18 mai [1836], mercredi soir minuit

Je n’avais pas reçu une bonne petite lettre de vous, donc je pouvais m’attendre à avoir le bonheur d’entrevoir un moment votre belle figure. Maintenant, je ne sais plus sur quoi compter puisque vous confondez toutes mes prévisions. Avec tout cela, je n’en ai que plus le besoin de vous voir. Quand viendrez-vous ? Votre souper que vous avez méprisé ce soir ne peut-il pas vous servir de déjeuner demain matin ? Et la fameuse crème commandée n’aura peut-être pas pour votre cher petit gosier un attrait que je n’ai plus depuis longtemps car vous ne buvez plus mes baisers, vous ne mangez plus mes joues, on dirait que vous êtes rassasié de mon amour. Je suis toute triste et toute mystifiée. J’avais je ne sais pourquoi la précertitude que tu viendrais ce soir.
Pardonne-moi si je suis injuste en t’accusant de négligence tandis, pauvre âme, que tu travailles et que tu te dévoues pour moi. Pardonne moi mon injustice et ma bêtise car ma lettre devra figurer demain en guise de rôti, elle est bête comme une oie. Si j’étais moins naïve avec toi et si je comptais moins sur ton indulgence, je la jetterais au feu. Mais tu es bon et je sais que je t’aime ; avec cette huilea-là, la cuisine la plus insipide se bonifieb singulièrement. À demain donc, mon pauvre bien-aimé et à cette nuit peut-être. Quelle quec soit l’heure où tu viendras, tu trouveras mon cœur sur mes lèvres et mon âme dans mes yeux. Bonsoir, cher adoré, tâchez de penser à moi du milieu de votre beau Ciel splendide et aimez-moi un peu. Je vous aime tant, moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16327, f. 67-68
Transcription d’Isabelle Korda assistée de Florence Naugrette

a) « huille »
b) « bonnifie »
c) « quelque »

Notes

[1Allusion vraisemblable au proverbe « Quand le vin est tiré, il faut le boire ».

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